Recherches sur la normativité de la motivation intrinsèque
Florence CASSIGNOL-BERTRAND et Claude LOUCHE
Résumé/Abstract
Cet article présente différentes études originales ou déjà publiées relatives à l’hypothèse de la normativité de la motivation intrinsèque (François, 2004 ; Vallée, 2004). Elles visent plus précisé.ment à aborder et à discuter les résultats obtenus dans le cadre de deux paradigmes expérimentaux (paradigmes d’autoprésentation et des juges, Jellison et Green, 1981) concernant les conditions de valorisation sociale de la motivation intrinsèque (MI) et sa valeur (désirabilité et utilité). Les résultats montrent notamment qu’il y a bien une valorisation sociale de la MI (mais qu’elle ne s’accompagne pas d’une dévalorisation stricte de la motivation extrinsèque) et que le type de valeur associé à la MI ne semble pas tranché (selon les études, la MI est liée à l’utilité ou à la désirabilité). Tout au long du texte, ces résultats seront mis en perspective avec ceux de la norme d’internalité (Beauvois, 1984 ; Beauvois et Dubois, 1988 ; Dubois, 1994).
Contenu
Introduction
1. Partie théorique
2. Synthèse de recherche
3. Discussion et conclusion
Introduction
La motivation est essentiellement considérée, dans la littérature de psychologie du travail, comme un déterminant majeur des performances. Depuis quelques années, des recherches sont menées en France (François en psychologie du travail, 2004 ; Vallée en psychologie du sport, 2004) dans une perspective différente. Elles visent à démontrer le caractère normatif d’une forme de motivation, la motivation intrinsèque. Nous définirons cette dernière, puis après avoir résumé l’approche des normes de jugement, nous présenterons les résultats d’un programme destiné à conforter l’approche normative de la motivation intrinsèque.
1. PARTIE THÉORIQUE
1.1. La motivation
Selon Sievers (1990, p. 349) l’intérêt et l’engouement suscités par le concept de motivation se produisent au moment même où apparaît le morcellement, la fragmentation du travail, au point que ce dernier perde tout son sens. Les théories de la motivation auraient alors affleuré comme de véritables ersatz à la quête de significations. On compte en effet, depuis les années 50, une multitude de théories de la motivation que l’on distingue traditionnellement selon qu’elles renvoient à des contenus ou à des processus (Campbell, Dunnette, Lawler et Weick, 1970). Parmi les théories de contenu, qui s’attachent à identifier les variables qui poussent les individus à agir, on compte la théorie des besoins de Maslow (1954), la plus ancienne, reprise entre autres par Herzberg, Mausner et Snyderman (1959), la théorie des caractéristiques de la tâche de Hackman et Oldham (1976) etc. Parmi les théories de processus dont l’objectif est de repérer les mécanismes par lesquels l’individu est amené à agir, on peut citer la théorie des buts de Locke (1969), la théorie de l’équité d’Adams (1965), la théorie de l’évaluation cognitive de Deci et Ryan (1985).
a. La théorie de l’évaluation cognitive : distinction entre Motivation Intrinsèque et Motivation Extrinsèque
La théorie de l’évaluation cognitive (Deci et Ryan, 1985) est l’une des plus récentes en matière de motivation. Longtemps tournée vers la mise en évidence des déterminants et des conséquences de la motivation intrinsèque, selon Sheldon, Turban, Brown, Barrick et Judge (2003), elle est aujourd’hui encore considérablement utilisée dans de nombreuses recherches en milieu organisationnel (dans l’étude du leadership transformationnel, de l’implication dans le but, de la motivation à apprendre ou encore du management stratégique des ressources humaines). Cette théorie (Deci et Ryan, 1985) pose l’existence de différents types de motivations ordonnés selon leur degré d’autodétermination sur un continuum. Sur le pôle le plus autodéterminé se trouve la motivation intrinsèque (MI) et sur le pôle le moins autodéterminé l’amotivation (AM). Entre ces deux extrémités figurent différents types de motivations extrinsèques (ME) plus ou moins autodéterminées. La motivation intrinsèque désigne une activité accomplie pour le plaisir et la satisfaction qu’elle procure. Vallerand, Blais, Briere et Pelletier (1989), Vallerand, Pelletier, Blais, Briere, Sénécal et Vallières (1992) ont identifié 3 types de MI :
- la MI aux stimulations renvoie aux personnes qui effectuent une activité parce qu’elle leur permet de vivre des sensations fortes ;
- la MI à la connaissance est celle des individus qui réalisent une activité pour la satisfaction et le plaisir d’être en train d’apprendre des choses nouvelles ;
- la MI à l’accomplissement fait référence aux individus qui réalisent une activité pour la satisfaction et le plaisir d’effectuer ou d’accomplir des tâches d’une façon efficace ou originale.
La motivation extrinsèque renvoie à un individu qui accomplit une activité pour des raisons instrumentales c’est-à-dire pour obtenir des récompenses ou éviter des sanctions.
On distingue de la plus autodéterminée à la moins autodéterminée :
- la ME identifiée est celle d’un individu qui effectue une activité même non plaisante, avec le sentiment d’avoir le choix parmi différentes tâches, mais de manière instrumentale ;
- la ME introjectée correspond aux individus qui commencent à intérioriser les sources de contrôle de leurs actions ;
- la ME externe fait référence à des comportements régularisés par des sources de contrôle externes à la personne (récompenses matérielles, contraintes, punitions…).
L’amotivation rend compte d’un individu qui effectue une activité de façon résignée autrement dit qui n’entrevoit aucune relation entre ses comportements et les conséquences afférentes. Blais, Briere, Lachance, Riddle et Vallerand (1993) distinguent deux types d’AM, équivalentes sur le continuum d’autodétermination : l’AM externe et l’AM interne. L’origine de la résignation est perçue dans l’environnement extérieur pour la première et chez l’individu lui-même pour la seconde (connaissances, habiletés…).
b. Résultats dans le cadre de la théorie de l’évaluation cognitive
Concernant les déterminants motivationnels, Blais et al. (1993) ont montré que les emplois nécessitant une certaine autonomie et un certain niveau de compétences présentaient le profil motivationnel le plus autodéterminé tandis que les emplois dont les tâches étaient plutôt répétitives et ennuyeuses présentaient le profil le moins autodéterminé. Au niveau des conséquences motivationnelles, des chercheurs ont mis en évidence que la MI s’accompagnait de meilleures performances (Ryan, Kuhl et Deci, 1997) et qu’en plus d’être liée positivement à la performance, elle présentait un lien positif avec les relations à l’organisation (Pelletier et Vallerand, 1993). Ces résultats ont cependant été questionnés par ces mêmes auteurs. Selon eux, les performances des personnes motivées intrinsèquement seraient surévaluées par rapport à celles des personnes motivées extrinsèquement (Pelletier et Vallerand, 1996). En d’autres termes, la MI ne serait pas valorisée dans notre société parce qu’elle amène réellement à de meilleures performances. François (2004) va alors être le premier à proposer de tester l’hypothèse d’une interprétation normative de ce phénomène de valorisation sociale de la MI, comme l’ont fait d’autres auteurs à propos de l’internalité (Dubois, 1994).
1.2. Les normes sociales de jugement
Le concept de norme sociale de jugement est évoqué pour la première fois de façon pressentie chez Stern et Manifold (1977), et de façon nette chez Jellison et Green (1981) avec la norme d’internalité. Ces différents travaux vont susciter l’attention et l’intérêt de Beauvois dès 1984, Beauvois et Dubois (1988) présentant ensuite un ensemble de propositions constitutives d’une théorie de la norme d’internalité. Les recherches sur la norme d’internalité se sont développées alors que la position dominante résidait dans ce que Ross (1977) avait qualifié d’erreur fondamentale : les chercheurs s’étaient en effet aperçus que les gens avaient tendance à expliquer les comportements d’autrui par les intentions ou les traits de personnalité plutôt que par des éléments contextuels, environnementaux. Pour Jellison et Green (1981), il ne s’agissait déjà plus d’une erreur d’appréciation, mais du fait qu’il soit plus désirable d’être interne plutôt qu’externe dans notre société. Beauvois et Dubois (1988) prolongèrent cette idée à partir de l’approche sociocognitive, mais s’en démarquèrent dans le même temps en proposant que la « désirabilité » de l’internalité ne soit pas imputable à la dimension affective de la valeur, mais à son utilité pour le fonctionnement social (Beauvois, 1995 ; Cambon, Djouari et Beauvois, 2001). Les personnes internes, surtout dans les situations d’évaluation, sont valorisées parce qu’elles sont en adéquation avec les options fondamentales du fonctionnement social puisque ce qu’elles disent ou font peut leur être attribué.
a. La valeur des normes sociales : utilité ou désirabilité ?
Selon Dubois et Beauvois, l’évaluation des personnes repose en partie sur une attribution de valeur qui renvoie à deux dimensions : l’utilité sociale et la désirabilité sociale (Dubois et Beauvois, 2002 ; Dubois, 2005, 2006). L’utilité sociale permet d’appréhender les chances de réussite ou d’échec d’un individu dans l’atteinte d’un objectif fixé. La désirabilité sociale permet d’appréhender la capacité d’un individu à développer des relations interpersonnelles satisfaisantes.
La méthode la plus fréquemment utilisée pour mesurer ces dimensions de la valeur est la méthode des portraits. Elle consiste à décrire des personnes à partir de traits de personnalité qui ont été identifiés par la recherche (voir Devos-Comby et Devos, 2001 ; Cambon, 2002 ; Le Barbenchon, Cambon et Lavigne, 2005) comme étant plutôt désirables ou plutôt utiles. Les recherches sur la norme d’internalité ont montré que sa valeur ne résidait que dans une des composantes : l’utilité sociale. En effet, les évaluateurs attribuaient plus d’adjectifs utilitaires aux internes qu’aux externes (Dubois et Beauvois, 2005 cité par Dubois, 2006). Les chercheurs ont alors voulu savoir si cette conclusion pouvait se généraliser à d’autres normes sociales en l’appliquant aux éléments du syndrome culturel individualiste. Ils n’ont retrouvé ce résultat qu’avec la norme d’autosuffisance (Dubois et Beauvois, 2005 cité par Dubois, 2006). Ces études les amènent aujourd’hui à moduler leur idée de départ selon laquelle la valeur d’une norme sociale repose uniquement sur son utilité sociale. Selon eux, il existerait donc deux types de normes sociales de jugements : les normes sociales d’utilité, mais présentant une certaine désirabilité (normes d’internalité, d’autosuffisance) et les normes de désirabilité présentant par essence une certaine utilité (norme d’ancrage individuel). Ceci signifie en fait que les scores de désirabilité dans le premier cas et d’utilité dans le second cas ne sont pas faibles en soi, mais souvent autour de la moyenne, voire assez élevés. Ils ne donnent pour autant pas lieu à des différences significatives. Cette nouvelle conception de la valeur des normes sociales de jugements amène Dubois (2006) à poser la question suivante : les situations ou les rapports sociaux sollicitent-ils différemment les dimensions de la valeur dans l’évaluation ?
b. les paradigmes expérimentaux utilisés dans l’étude des normes sociales de jugements
La recherche dans la perspective sociocognitive a mis en évidence que les normes de jugements étaient rendues saillantes lors d’activités d’évaluation. Dans le même temps, on constate que la motivation représente à l’école, sur un terrain de sport, dans un cabinet de recrutement comme dans l’entreprise un critère majeur d’évaluation à côté notamment des performances objectives. Selon Pansu et Beauvois (2004, p. 159) l’évaluation est, dans son acception la plus large « une information sur la valeur de la personne jugée dans tel ou tel secteur de la vie sociale… C’est une part importante de l’activité de toute personne engagée dans des relations interpersonnelles ou sociales ». Selon eux, l’évaluation correspond à des activités précises et nécessaires qui permettent d’assurer certaines fonctions de la vie sociale. Elle répond à des besoins organisationnels et fonctionnels forts (orientation, promotion, sélection, thérapie, formation des salariés…). Elle renvoie alors à des processus formels et à des pratiques socialement instituées qui retiennent plus particulièrement notre attention dans ce texte.
Lors d’évaluation, les individus ont donc tout intérêt à se présenter comme normatifs s’ils veulent susciter un jugement favorable : ils devraient se présenter internes plutôt qu’externes pour se faire bien voir et corollairement les individus qui se présentent internes devraient être préférés à ceux qui se présentent externes. Deux paradigmes expérimentaux développés par Jellison et Green (1981) permettent de répondre à ces hypothèses. Il s’agit du paradigme d’autoprésentation pour le premier qui consiste à répondre à un questionnaire de façon à se faire bien voir versus mal voir d’une instance évaluative donnée et du paradigme des juges pour le second qui consiste à demander à des sujets d’évaluer une personne fictive à partir de ses réponses à un questionnaire en réalité rempli par les soins du chercheur de manière à pouvoir tester son hypothèse.
c. Résultats sur la norme d’internalité
Les résultats concernant le paradigme d’autoprésentation ont montré que tant les adultes que les enfants utilisaient massivement les explications causales internes pour se faire bien voir et les explications causales externes pour se faire mal voir (pour les enfants, voir Dubois, 1988 ; Dubois et le Poultier, 1991 ; pour les adultes, voir Py et Somat, 1991). Néanmoins, certaines expérimentations ont montré que la préférence pour les explications internes ne s’accompagnait pas d’un rejet radical des explications externes (scores autour de la moyenne) ce que nous retrouvons également avec la ME. De même, il est parfois apparu que les scores d’internalité en consignes standard et normative étaient identiques, alors qu’en théorie la condition normative devrait augmenter le niveau d’internalité (Dubois, 1991). Dubois donne une explication simple de ce phénomène : la personne qui administre les questionnaires doit représenter pour les sujets une figure d’évaluateur potentiel auprès duquel il faut se faire bien voir. Par conséquent, dès la consigne standard, le sujet emploie une stratégie d’autoprésentation qui l’amène à se valoriser (Dubois, 1994). Obtenant des résultats similaires avec la motivation intrinsèque, nous proposerons une autre explication possible.
Les recherches dans le cadre du paradigme des juges ont mis en évidence que, quel que soit le niveau scolaire d’un enfant, ceux exhibant le plus de réponses internes sont mieux évalués par les adultes que ceux censés avoir rempli des questionnaires de manière mixte ou de manière externe (Dubois, 1988). De même, lorsqu’un élève doit évaluer un autre élève, celui présenté comme interne fait toujours l’objet d’un meilleur jugement que celui présenté comme externe, quel que soit le type d’évaluation (scolarité ou relations amicales). Beauvois, Bourjade et Pansu (1991) ont montré que des salariés internes sont systématiquement mieux jugés que les autres quelle que soit la culture de l’entreprise. Par contre, contrairement à l’évaluation dans le domaine scolaire, l’externalité n’est pas rejetée en soi : les salariés préfèrent une personne externe à une personne parfois interne parfois externe. Ce résultat corrobore ceux trouvés avec le paradigme d’autoprésentation : l’externalité n’est pas dévalorisée en soi.
1.3. Objectifs
C’est à François (2004) que l’on doit les premières investigations relatives à l’hypothèse de la normativité de la MI dans le champ organisationnel. Une première étude utilisant le paradigme d’autoprésentation a mis en évidence que pour se faire bien voir d’un employeur potentiel, des étudiants se présentent MI. Dans une seconde étude, il présentait à des sujets, deux portraits de cadres, l’un performant et sympathique, l’autre médiocre sur les plans professionnels et personnels. Il demandait ensuite aux sujets de deviner parmi quatre protocoles (2 MI et 2 ME) lequel avait été complété par chacun des cadres. Les résultats montrent que les deux protocoles orientés vers la MI sont plus souvent attribués au cadre performant et sympathique. Ces résultats sont à l’origine d’un important programme de recherches1 initié il y a 4 ans, visant à mettre en évidence la valorisation et le type de valeur de la MI.
Il nous a donc paru intéressant de faire le point sur ces quatre années d’investigations de la norme de MI, développées dans le cadre de notre équipe. Nous avons par conséquent choisi de présenter une synthèse non exhaustive de résultats publiés ou non, utilisant les paradigmes d’autoprésentation et des juges (Gilibert et Cambon, 2003) afin de permettre de discuter la pertinence de notre hypothèse au regard de résultats plus nombreux et étoffés.
2. SYNTHÈSE DE RECHERCHE
Le programme de recherche a été entrepris selon une double orientation :
- tout d’abord dans le cadre du paradigme d’autoprésentation afin de vérifier si les gens accordent bien une plus grande valeur à la motivation intrinsèque qu’à la motivation extrinsèque selon les contextes ;
- enfin, dans le cadre du paradigme des juges pour voir si les individus présentant une motivation intrinsèque sont effectivement mieux évalués que ceux présentant une motivation extrinsèque comme nous l’avons vu pour la norme d’internalité.
2.1. Recherches dans le cadre du paradigme d’autoprésentation
Nous avons vu précédemment que François (2004) avait constaté dans le cadre du paradigme d’autoprésentation que la motivation intrinsèque était utilisée pour se faire bien voir et réduite pour se faire mal voir ce qui démontre son caractère valorisé. Toutefois, dans cette étude, il était demandé aux étudiants de se mettre à la place d’un salarié qui voudrait se faire bien voir puis mal voir de son employeur. Les sujets n’étaient pas personnellement engagés au niveau de l’image véhiculée par les réponses qu’ils fournissaient au questionnaire. Il était donc important de renouveler cette étude afin de s’assurer de la stabilité du résultat dans une situation qui engage cette fois directement les sujets. Cassignol-Bertrand et Constant (étude 1, 2007) ont mené cette étude sur 3 groupes équivalents d’étudiants candidats à un stage. Ils devaient remplir un questionnaire de motivation afin soit de se faire bien voir soit mal voir des personnes qui allaient examiner leur candidature, soit de façon spontanée. Il apparaît que les scores de motivation intrinsèque sont significativement plus forts pour se faire bien voir que pour se faire mal voir. La valorisation de la MI est ainsi mise à jour. On peut également noter que le score moyen de motivation intrinsèque est identique dans le cadre d’une consigne normative et dans le cadre d’une consigne spontanée. Outre l’explication que propose Dubois (1994) de ce phénomène pour l’internalité, cela peut signifier que la présentation de soi comme motivée intrinsèquement est spontanée. Ce résultat pose la question d’une éventuelle intériorisation de la motivation intrinsèque. Ces premiers résultats sont tout à fait conformes à ceux de François et démontrent ainsi leur consistance.
Dans une autre étude, Louche, Bartolotti et Papet (2006) ont souhaité confirmer ces résultats dans un contexte organisationnel en faisant varier l’instance évaluative auprès de laquelle il fallait se faire bien voir ou mal voir. On sait en effet depuis les travaux sur la norme d’internalité que l’instance évaluative potentielle affecte la propension des sujets à utiliser les réponses internes pour se présenter sous un jour favorable. Dubois (1988) a notamment montré que l’instance scolaire exerçait un rôle plus puissant que l’instance parentale. Cela s’explique, dans une orientation sociocognitive, par les pratiques d’évaluation plus présentes dans la vie scolaire que dans la vie familiale. On a, dans cette logique, voulu vérifier l’hypothèse selon laquelle la propension à utiliser la motivation intrinsèque pour se faire bien voir serait plus forte vis-à-vis de la hiérarchie que vis-à-vis de collègues qui n’ont pas une évaluation formelle à porter. Une étude a été réalisée auprès de deux groupes équivalents d’exécutants dans un établissement de soins. Le premier groupe a rempli un questionnaire de motivation intrinsèque et extrinsèque pour se faire bien voir puis mal voir de la hiérarchie tandis que le second groupe le remplissait de façon à se faire bien voir puis mal voir des collègues (avec présentation contrebalancée). Il apparaît tout d’abord que les scores de motivation intrinsèque sont significativement plus forts pour se faire bien voir que mal voir, ce qui atteste de sa désirabilité. En outre, ce phénomène est significativement plus fort vis-à-vis de la hiérarchie que vis-à-vis des collègues. L’instance hiérarchique renforce donc le poids normatif de la motivation intrinsèque.
Néanmoins, nous avons observé un pattern de résultats équivalents concernant la motivation extrinsèque. Elle sert également à se faire bien voir de la hiérarchie et mal voir des collègues. Ce résultat peut être rapproché dans certaines conditions de la norme d’internalité (Dubois, 1994, p. 73) et révèle l’absence de dévalorisation, de rejet strict de la ME comme de l’externalité. Ce résultat peut également amener à se poser la question de l’existence d’une norme générale de motivation ce qui ne contredit pas toutefois l’hypothèse d’une normativité de la motivation intrinsèque et de sa spécificité. En effet, pour se faire bien voir de la hiérarchie, les scores de MI sont significativement plus forts que les scores ME.
Ces résultats ont été reproduits dans une autre recherche développée avec le soutien d’une agence d’intérim. Son objectif était de vérifier si les effets normatifs interviennent dans tous les domaines de vie ou s’ils ne se manifestent que dans le champ professionnel. Deux groupes équivalents de 20 intérimaires ont été constitués par tirage au sort. On a demandé à ces personnes de remplir le même questionnaire de motivation (MI et ME) précédé d’une consigne normative puis d’une consigne contre-normative (avec contrebalancement pour neutraliser les effets d’ordre). On a injecté en deuxième variable indépendante l’instance auprès de laquelle il fallait se faire bien ou mal voir : employeur (groupe 1) et membre de leur famille (groupe 2). Nous avons obtenu les résultats suivants pour la motivation intrinsèque :
Tableau 1
Scores bruts obtenus sur un total de 84 (e-t ) de MI en consigne
normative et contre-normative dans deux domaines de vie
Nous observons, ce qui est classique, que les scores de MI sont plus élevés pour se faire bien voir que pour se faire mal voir (F (1,38)= 146,33 ; P<.000). Par contre, les scores de MI ne sont pas plus forts dans le contexte professionnel où le poids de l’&eeacute;valuation est pourtant plus affirmé que dans le contexte familial. Ce résultat est d’autant plus intéressant que les questionnaires ont été passés dans un contexte renforçant le poids de l’évaluation. Il suggère que la valorisation de la MI ne se limite donc pas au contexte professionnel. Elle semble avoir une assise plus large que la norme d’internalité qui est surtout articulée sur les pratiques évaluatives. Il serait nécessaire de conduire de nouvelles recherches pour dégager les contours de la norme de motivation intrinsèque et les conditions de son acquisition et de son fonctionnement. Selon les résultats obtenus, on pourrait être amené à sortir d’une interprétation par la seule idéologie libérale (Beauvois, 1994) du fonctionnement normatif.
Après avoir testé le rôle des domaines de vie, il nous a paru important d’évaluer le rôle du statut des répondants. Une recherche a eu pour objet de comparer, dans le cadre du paradigme d’autoprésentation, les scores de motivation intrinsèque de deux groupes équivalents de 30 chômeurs, différents au niveau de la durée du chômage. Le premier groupe était composé de chômeurs de courte durée (moins de un an) et l’autre de personnes sans emploi depuis plus d’un an (2,3 ans en moyenne). Les scores suivants ont été obtenus :
Tableau 2
Scores moyens sur 7 (e-t) de MI en consignes normative et
contre-normative selon la durée du chômage
L’analyse de variance à mesures répétées établit que les scores de motivation intrinsèque sont significativement plus forts en consigne normative que contre-normative (F (1, 58) = 188,62, P<.00000). Il n’apparaît pas de rôle de la durée du chômage sur la MI. Cependant, nous observons une interaction significative (F (1, 58) = 8,49 ; P<.0005). L’augmentation de la durée du chômage amène une baisse des scores de motivation intrinsèque en consigne normative et une augmentation de ces scores en consigne contre-normative. Les difficultés face à l’emploi semblent donc changer la place accordée à la motivation intrinsèque. Ce résultat pourrait être rapproché de ceux qui établissent que le travail a surtout une valeur instrumentale pour les victimes de la crise économique (Verquerre, Masclet et Durand, 1999). Il n’est pas question pour cette population des valeurs expressives (développement personnel) caractérisant la motivation intrinsèque. Ainsi avec l’allongement de la durée du chômage, on assiste à un affaiblissement de la place des valeurs expressives.
Enfin, dans une approche sociocognitive des normes, la valorisation est articulée sur les besoins du fonctionnement social. On a vu avec les travaux sur la norme d’internalité que les dominants expriment plus de réponses normatives que les non dominants. Une autre étude a été réalisée afin d’appréhender comment des groupes de statuts différents se présentaient de manière spontanée. L’étude a consisté à demander à deux populations tout venant (cadres et exécutants) de remplir un questionnaire de motivation intrinsèque et extrinsèque. Il apparaît tout d’abord que le statut n’a aucun effet sur l’expression globale de motivation. Par contre, le score de MI est, au niveau global, significativement plus fort que celui de ME. Enfin, on distingue une interaction tendanciellement significative (P<.06) qui révèle que l’expression spontanée de motivation intrinsèque est plus prononcée chez les cadres que chez les exécutants. Le lien entre la position sociale dominante et l’affirmation d’une motivation intrinsèque est donc affirmé dans cette étude.
2.2. Recherches dans le cadre du paradigme des juges
Les résultats obtenus dans le cadre du paradigme d’autoprésentation démontrent que la motivation intrinsèque est utilisée pour se faire bien voir. Il reste à vérifier si les évaluateurs sont en retour sensibles à la motivation intrinsèque au point de lui accorder une préférence au niveau de l’évaluation. Cassignol-Bertrand et Constant (étude 2, 2007) ont demandé à des étudiants de l’université de se prononcer sur le devenir professionnel d’un élève de terminale fictif qui était présenté :
- soit motivé de manière intrinsèque à l’accomplissement ;
- soit motivé de manière extrinsèque par régulation identifiée ;
- soit motivé de manière extrinsèque par régulation externe.
Il était également demandé aux sujets de décrire cet élève par des adjectifs relevant de la dimension désirable (sincère, modeste) ou utilitaire (tenace, mesuré). Le pronostic sur le devenir professionnel était porté sur une échelle de 1 à 9 permettant d’exprimer un degré d’accord avec l’affirmation « C’est quelqu’un qui va réussir professionnellement ». Pour l’élève motivé intrinsèquement le score moyen est de 5 alors qu’il est de 3,6 pour celui motivé extrinsèquement (p<.03). On observe bien une valorisation des élèves motivés intrinsèquement. Nous avons vu que de nombreux travaux (Pansu et Beauvois, 2004 ; Dubois, 2005) s’intéressaient à l’ancrage désirable ou utilitaire des normes de jugement et que la norme d’internalité rendait la dimension utilitaire particulièrement saillante tandis que pour la norme d’ancrage individuel il s’agissait de la dimension désirable.
Cassignol-Bertrand et Constant (2007) pour la norme de motivation intrinsèque, observent qu’en situation peu contextualisée (étude 2), les élèves motivés intrinsèquement ne sont pas perçus dans une dimension utilitaire. Par contre, ils obtiennent des scores significativement plus forts sur les adjectifs désirables. Dans l’étude 3 plus contextualisée, où il était demandé à des professeurs de collège d’évaluer un élève à partir d’un bulletin de notes (VI1 : moyen versus bon) et d’un questionnaire de motivation (VI2 : MI versus ME), on trouve plusieurs résultats significatifs concernant les dimensions de la valeur : l’élève MI est évalué comme étant plus utile que l’élève ME. De plus, l’élève MI moyennement performant obtient un score d’utilité supérieur au ME très performant. Enfin concernant la désirabilité, on observe que les MI sont préférés aux ME. Il pourrait donc y avoir un ancrage spécifique de la MI en termes de désirabilité ou d’utilité, en fonction des situations et des statuts. Cette question était posée par Dubois (2006) alors qu’elle propose l’existence de 2 types de normes : d’utilité et désirabilité.
Deux autres études ont été menées (Cassignol-Bertrand, Baldet, Louche et Papet, 2006). Une première étude a été réalisée auprès de 52 recruteurs de différentes structures (APEC, Agences d’intérim, services de ressources humaines, cabinets de recrutement…). Deux groupes équivalents (n= 26) ont été constitués. On a demandé à ces spécialistes de se prononcer sur le dossier d’un candidat fictif pour un poste. Le premier groupe se prononçait sur un candidat motivé intrinsèquement alors que le second groupe se prononçait sur un candidat motivé extrinsèquement. Le profil motivationnel était introduit à partir des réponses supposées fournies par les candidats à un questionnaire de motivation. Les recruteurs donnaient leur opinion sur l’intérêt de recruter le candidat au moyen d’une échelle en 9 points (1 : avis très défavorable ; 9 : avis très favorable). Les résultats montrent que c’est le candidat MI (avec un score de 6,11, contre 3,2 pour le ME) qui fait l’objet du plus grand intérêt. Nous demandions ensuite aux sujets de décrire les candidats au moyen de deux adjectifs utilitaires (sérieux, travailleur) et de deux adjectifs positionnés sur le registre du désirable (attachant, sympathique).Nous avons obtenu les résultats suivants :
Tableau 3
Scores sur 18 (e-t) obtenus selon le type de valeur
attribuée à des candidats MI et ME
Il apparaît que le candidat MI est plus décrit en termes « utilitaires » mais qu’il est également significativement plus décrit en termes « désirables ». Nous n’obtenons pas une dissociation des deux dimensions de la valeur (utilitaire vs désirable) qui intervient au niveau de la norme d’internalité. Une deuxième étude a porté sur des experts économiques (n = 25) qui ont pour mission de se prononcer sur des dossiers de création d’entreprise. Elle a nécessité l’élaboration d’un cas qui puisse être considéré comme réel. Il s’agissait d’un dossier qui devait être de qualité moyenne. En effet, un cas excellent serait toujours financé alors qu’un cas de piètre qualité serait toujours refusé. Le dossier comportait une description générale du projet, une information sur le marché, sur les moyens nécessaires, sur les éléments juridiques et fiscaux, enfin un plan de financement accompagné des comptes de résultats. Le profil motivationnel du porteur de projet (MI ou ME) constituait la variable indépendante. Au niveau des variables dépendantes, on enregistrait le degré d’accord des évaluateurs pour l’attribution de moyens financiers (échelle allant de 1 pour le désaccord à 9 pour l’accord) et le pronostic de réussite du projet dans l’avenir. Enfin le porteur du projet était décrit au moyen de traits relevant de l’utilitaire ou du désirable. Les résultats montrent que le degré d’accord pour l’attribution de moyens financiers est significativement plus fort lorsque le projet est porté par une personne MI. Le pronostic de réussite ultérieure est également plus positif pour le porteur de projet MI. Il apparaît donc qu’un même projet économique suscite une évaluation différente selon que le porteur du projet est MI ou ME. Au niveau des traits utilisés pour décrire le porteur du projet, on constate que le porteur MI reçoit un score significativement plus fort sur la dimension utilitaire. Par contre sur la dimension de désirabilité, les scores sont identiques.
Une double question se pose à propos de ces résultats :
- Dans l’étude la moins contextualisée (étude 2, Cassignol-Bertrand et Constant, 2007), c’est la désirabilité des motivations autodéterminées qui est mise en avant, l’utilité ne permettant pas de différencier les divers types de motivations. Dans l’étude menée auprès des recruteurs (étude 1, Cassignol-Bertrand et al., 2006), les MI diffèrent des ME au niveau des deux dimensions de la valeur qui sont actuellement distinguées dans la littérature (l’utilitaire et le désirable). Par contre au niveau de l’évaluation des projets de création (étude 2, CassignolBertrand et al., 2006), et de l’évaluation d’élèves par des professeurs (étude 3, CassignolBertrand et Constant, 2007), les résultats sont conformes à ceux que l’on obtient avec la norme d’internalité : la différence entre le sujet MI et le sujet ME est essentiellement portée par la dimension « utilitaire ». Ils vont dans le sens d’une orientation sociocognitive qui lie la connaissance aux nécessités du fonctionnement social. Ils suggèrent en effet que la norme de motivation intrinsèque est une norme qui bénéficierait d’un double ancrage (utilitaire et désirable) selon les contextes et les statuts. Il est alors intéressant de considérer les conditions d’évaluation sociale qui amènent l’activation du registre désirable pour accompagner le registre utilitaire qui semble, lui, toujours présent au moins dans un rapport formel d’évaluation.
- On observe une préférence pour les candidats ou les porteurs de projet MI au détriment des candidats ou porteurs de projets ME. Ce résultat va dans le sens d’une normativité de la motivation intrinsèque sans en constituer toutefois la démonstration absolue. La préférence pour les MI pourrait en effet résulter simplement des plus grandes qualités personnelles et des meilleures performances des MI par rapport aux ME. Une recherche de Cassignol-Bertrand et Constant (étude 3, 2007) renforce l’interprétation normative. Il apparaît que les deux variables (performances scolaires : bonnes vs moyennes et motivation : MI vs ME) exercent, de manière indépendante, un effet significatif sur le pronostic professionnel émis par les enseignants. Les performances scolaires positives et le profil motivationnel MI amènent un pronostic favorable. L’analyse de variance fait ressortir une interaction tendanciellement significative. Un profil motivationnel MI compensera aux yeux des évaluateurs des performances moyennes. Le normatif, par la mise en avant de la motivation intrinsèque, compense les résultats limités. Des résultats semblables ont été observés dans l’enseignement supérieur par Berger en 2006.
3. DISCUSSION ET CONCLUSION
En 2004, François a suggéré l’existence d’une norme de motivation intrinsèque. La démonstration de cette normativité nécessite la conduite de recherches vérifiant si la MI a bien toutes les caractéristiques reconnues aux normes. On peut avec Dubois (1994, p. 32) les résumer ainsi :
la norme définit des événements désirables. Se conformer est alors source de valorisation sociale ;
- elle est partagée dans un collectif ;
- elle est socialement acquise ;
- elle a une utilité sociale.
Dans la logique sociocognitive, les connaissances sont liées aux pratiques que Beauvois (1991) appelle « socialement obligées ». Ainsi, dans la théorie de la norme d’internalité, ce sont les pratiques évaluatives qui favorisent l’émergence des explications internes. Les travaux que nous avons présentés, et qui ont été menés auprès de populations françaises, dans le cadre des paradigmes d’autoprésentation et des juges, interrogent d’abord la désirabilité de la motivation intrinsèque. Les résultats établissent que d’une part la motivation intrinsèque est mise en avant pour se faire bien voir et que de manière complémentaire les évaluateurs privilégient les motivés intrinsèquement par rapport aux motivés extrinsèquement. Bien sûr, on pourrait considérer que cette préférence résulte plus des performances des motivés intrinsèques que d’un phénomène normatif. Les résultats présentés selon lesquels les MI sont préférés même s’ils ne sont pas très performants renforcent l’interprétation normative des résultats obtenus. Plusieurs études en cours testent d’ailleurs cette désirabilité au niveau intergroupe en dehors d’une procédure d’évaluation. Elles devraient nous amener à des conclusions encore mieux assurées.
Les résultats présentés permettent aussi d’approcher indirectement la question de l’utilité sociale de la norme de motivation intrinsèque. Dans une logique sociocognitive, on peut considérer que le fait que les salariés soient motivés par le plaisir à accomplir une tâche les rend plus prévisibles que les salariés motivés pour des raisons instrumentales qui sont externes et aléatoires. Dans ces conditions, la motivation intrinsèque sera plus fortement exprimée vis-à-vis de la hiérarchie qui exerce un pouvoir formel d’évaluation. Nous avons obtenu ce résultat. Mais le fait que nous ayons également observé que les effets normatifs étaient plus forts dans le domaine familial que dans le domaine professionnel constitue un résultat étonnant dans une approche sociocognitive. Il semble donc que la fonction sociale de la motivation intrinsèque ne puisse pas être simplement décodée à partir d’une grille théorique mobilisée au niveau de l’internalité et renvoyant à la seule idéologie libérale. Le fait ensuite que nos résultats nous amènent, même s’il y a spécificité de la MI, à parler d’une norme générale de motivation appelle des recherches destinées à évaluer la place faite au niveau social à la motivation. Les conclusions nuancées ou même contradictoires tirées de l’ancrage utilitaire ou désirable de la motivation intrinsèque dans différentes situations d’évaluation s’éclaireront sans doute par cette mise en perspective plus large. Ensuite, il nous semblerait important d’examiner les procédures de traitement de l’information mises en oeuvre par les sujets pour vérifier s’il existe un traitement de l’information plus rapide sur ce type de norme (Le Floch et Somat, 2003). On articulerait ainsi une approche sociale et une approche intra-individuelle. Cela permettrait d’interroger la méthodologie utilisée en comparant des réponses spontanées et des réponses par questionnaire qui pourraient mobiliser des scripts et appeler ainsi une plus forte expression du normatif. Ces travaux sont en cours.
On doit bien toutefois avoir conscience qu’une interprétation normative doit, sur ce type de phénomène, être toujours avancée avec prudence. En effet, lorsqu’on parle de préférence pour les explications internes et de norme d’internalité, on se positionne au seul niveau des jugements. Par contre, dans l’approche de la motivation intrinsèque ou extrinsèque (avec des questions renvoyant au salaire, à la sécurité de l’emploi, à l’intérêt du travail, au développement personnel…), on se positionne tant au niveau des jugements qu’au niveau des conditions effectives de vie au travail. L’interprétation normative ne va alors pas de soi. Ainsi, si les cadres sont plus motivés intrinsèquement, cela peut correspondre autant à une norme qu’au souhait de maintien de conditions qui leur offrent objectivement plus d’autonomie et plus de tâches intéressantes que celles des exécutants. C’est, dans ce contexte, la combinaison d’études et d’approches multiples qui permettra d’étayer l’interprétation normative de la motivation intrinsèque.
Auteurs
Florence Cassignol-Bertrand est allocataire de recherche à l’université Montpellier III où elle effectue une thèse en psychologie sociale, du travail et des organisations portant sur la normativité de la motivation intrinsèque.
Courriel : florence.bertrand3@wanadoo.fr
Université Montpellier III, Route de Mende, 34199 Montpellier Cedex 05, France.
Claude Louche est professeur de psychologie sociale du travail et des organisations à l’université Montpellier III. Il développe des recherches sur le fonctionnement des normes de jugement dans les organisations.
Courriel : claude.louche@free.fr
Université Montpellier III, Route de Mende, 34199 Montpellier Cedex 05, France.
Notes
- Programme de recherche « Approches socionormatives de la motivation intrinsèque » coordonné par l’équipe SACO de Poitiers et subventionné par le Ministère de l’Education Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche dans le cadre d’une Action Concertée Incitative du réseau national des Maisons des Sciences de l’Homme.
Abstract
This article discusses some original and already published studies relating to the hypothesis of normativeness of intrinsic motivation (Francois, 2004; Vallée, 2004). More precisely, these studies aim at investigating and discussing the results obtained within two experimental paradigms (self-presentation and judges’ paradigms, Jellison & Green, 1981) about the conditions of the social optimisation of intrinsic motivation and its value (desirability and utility). The results show in particular that the social optimisation of intrinsic motivation exist, that it is not accompanied by strict devaluing of extrinsic motivation, and that the type of value associated with intrinsic motivation is still debatable. Indeed, intrinsic motivation could be related to either utility or desirability. Throughout the text, the findings are compared and contrasted with considerations about the norm of internality (Beauvois, 1984; Beauvois and Dubois, 1988; Dubois, 1994).
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