Les motivations intrinsèques et extrinsèques à se former et leurs effets sur les conduites d’entrée et de maintien en formation professionnelle
Christine LAGABRIELLE, Anne-Marie VONTHRON et Dominique POUCHARD
Résumé/Abstract
L’étude exposée dans cet article vise d’une part à identifier les facteurs motivationnels qui poussent la personne à s’engager dans un parcours de formation professionnelle et d’autre part à examiner leur influence sur les conduites effectives d’inscription et de persistance dans le cycle formatif. Pour cela, trois groupes de sujets ont été interrogés à trois temps du parcours : avant une formation (96 sujets), à son début (213 sujets) et un mois avant sa fin (212 sujets). Les principaux résultats montrent l’existence de facteurs intrinsèques et extrinsèques différents selon le moment du parcours avec des impacts spécifiques sur les conduites ultérieures. Avant la formation, seules des dimensions extrinsèques (développement du statut professionnel et augmentation des opportunités professionnelles) ont un effet significatif sur la future entrée en formation alors que durant le stage, le seul facteur ayant un impact sur le maintien jusqu’au terme relève de la motivation intrinsèque (acquisition de savoirs professionnels).
Contenu
Introduction
1. Les motivations en formation des adultes
2. Méthodologie
3. Résultats
4. Discussion
5. Conclusion
Introduction
Le champ spécifique de la formation professionnelle n’a pas échappé aux investigations sur les motivations des personnes à s’engager dans un parcours formatif. Ces investigations ont accompagné l’ampleur considérable que la formation professionnelle a prise en France, depuis les années soixante-dix, jusqu’à être déclinée dorénavant « tout au long de la vie ». Les raisons d’entrée en formation se sont largement diversifiées reposant sur des contextes d’emploi de plus en plus exigeants en termes de maintien, de développement ou de renouvellement des compétences et/ou des connaissances. Certains travaux ont donc souligné les attentes établissant l’investissement en formation (Porter, 1972), identifié les besoins qui sous-tendent l’inscription en formation (Nuttin, 1980 ; Demol, 1995) ou décrit avec précision la multiplicité des motifs amenant l’individu en formation (Courtney, 1992 ; Carré, 1998 ; Finbak et Skaalvik, 2001). En parallèle d’une forte demande d’accession à la formation professionnelle, il est constaté un taux conséquent d’abandons que ce soit en phase d’intégration des cycles formatifs ou en cours de déroulement de ces derniers. L’obtention d’un emploi survenant pendant la formation constitue une cause non négligeable de désistement. Les difficultés d’apprentissage, le déficit de soutien de l’entourage, le manque d’accompagnement ou encore de mauvaises conditions d’accueil ou de prise en charge du stagiaire sont quelques-unes des raisons également évoquées pour expliquer ces abandons (De Freminville, 1998). Enfin, Chartier (1998) rappelle que la démotivation est une explication souvent mise en avant face aux publics peinant à poursuivre la formation qu’ils ont entreprise. On le voit, au-delà des facteurs sociaux et contextuels, les processus de motivation ou de démotivation occupent une part considérable des réflexions permettant de comprendre le rapport dynamique à la formation, tant dans le déclenchement du processus motivationnel que dans l’évolution et la persistance de celui-ci (Carré, 2004). C’est conjointement à ces deux aspects d’inscription et de maintien en formation que s’intéresse plus particulièrement cet article. En premier lieu, notre questionnement porte sur les différents motifs qui incitent la personne à se former et sur les variations éventuelles des contenus qui structurent les motivations tout au long d’un parcours, avant et pendant une formation professionnelle qualifiante. En second lieu, nous souhaitons examiner les liens existant entre ces contenus motivationnels, avant et pendant la formation, et les conduites effectives d’entrée et de maintien en formation. Plus précisément, cet article tente de répondre à deux questions : la structure des contenus motivationnels est-elle différente selon qu’on se situe à différents temps de la formation ? Quel est l’impact de ces contenus motivationnels aux différents temps de la formation sur l’entrée ou le désistement et la rupture ou la persistance dans le parcours formatif ?
1. LES MOTIVATIONS EN FORMATION DES ADULTES
La notion de motivation à la formation reste majoritairement présente dans de nombreux travaux et ce, depuis plusieurs décennies. Si l’on prend comme exemple les parutions de la revue Adult Education Quarterly entre 1970 et 1995, on constate que les articles portant sur la motivation sont trois fois plus nombreux que ceux relatifs à d’autres aspects formatifs. Des acquis considérables issus de positions théoriques variées ont donc permis de mieux appréhender les catégories, les contenus ou les processus des motivations qui déterminent ou qui empêchent les investissements de l’adulte dans les activités menées. En particulier la perspective impulsée par Deci dès 1971 portant sur la motivation intrinsèque a donné lieu à un secteur d’études fructueux. Deci et Ryan (1985, 1994), Deci, Vallerand, Pelletier et Ryan (1991) distinguent les motivations intrinsèques qui réfèrent à des activités effectuées pour elles-mêmes et pour la satisfaction qu’elles génèrent, les motivations extrinsèques qui correspondent à des sources plus instrumentales ou dépassant le seul cadre de l’activité et le « niveau zéro de la motivation » à savoir l’amotivation (Fenouillet, 2003, p. 80). Cette amotivation, que l’on peut rapprocher de la résignation acquise, renvoie à une absence de relation perçue par l’individu entre les conduites qu’il adopte et les conséquences qui en découlent. Sous-jacente à cette catégorisation, les auteurs postulent l’existence d’un continuum d’autodétermination constitué de six niveaux allant de l’amotivation (niveau le plus faible) jusqu’à la motivation intrinsèque (niveau le plus élevé). Entre les deux, la motivation extrinsèque se décompose en quatre formes, également de la moins autodéterminée à la plus autodéterminée soit, dans l’ordre, la régulation externe, la régulation introjectée, la régulation identifiée et la régulation intégrée. Vallerand et al. (1989, 1992, 1993) proposent par la suite de différencier trois types de motivations intrinsèques : à la stimulation, au plaisir et à l’accomplissement. Au regard de cette approche, les comportements volitifs qui se manifestent par plaisir pour l’activité et qui aboutissent à un sentiment d’autonomie et de compétence persisteraient dans le temps alors que ceux issus de motivations ou de contraintes externes seraient plus instables. Vallerand et Bissonnette (1992) démontrent notamment le lien, dans le domaine de l’éducation, entre l’abandon des études et un haut niveau d’amotivation chez les étudiants tandis que Gagnon et Brunel (2005) constatent au travers de résultats chez des adultes en reprise d’études l’impact de la motivation interne sur leurs chances de persister dans le programme scolaire qu’ils suivent.
Si les auteurs cités précédemment s’attachent au processus motivationnel et soulignent le rôle majeur de l’autonomie et de la liberté dans les conduites mises en œuvre, Carré (1998, 2004) se centre davantage sur les contenus, à savoir les motifs d’engagement éducatif évoqués par les adultes. Plus précisément, il identifie deux axes bipolaires d’orientation motivationnelle : l’un porte sur l’orientation intrinsèque/extrinsèque des motifs (reprenant ainsi la conception de Deci et Ryan, 1985), l’autre repose sur l’orientation vers l’apprentissage (acquisition de contenus de formation) ou vers la participation (inscription et présence en formation). Quatre « quadrants » permettent alors de positionner dix grands types de motifs d’engagement en formation. Trois d’entre eux, qualifiés de motifs « épistémique, hédonique et socioaffectif » sont relatifs à l’orientation intrinsèque tandis que sept autres « économique, prescrit, dérivatif, opératoire professionnel, opératoire personnel, identitaire et vocationnel » composent l’orientation extrinsèque. Parmi ces sept motifs, les premiers renvoient à l’aspect instrumental ou contraint de la présence en stage, tandis que les derniers concernent l’acquisition de connaissances ou de compétences à des fins de positionnement professionnel ou personnel. Grâce à cette catégorisation, l’auteur précise la diversité des contenus motivationnels tout en insistant sur le fait qu’ils sont contingents, non exclusifs les uns des autres et évolutifs. Autrement dit, ces motifs peuvent se recomposer et se modifier dans le temps en fonction de plusieurs paramètres individuels ou contextuels.
Les travaux de Noe (1986) et de Tannenbaum et Yukl (1992), davantage centrés sur l’évaluation de l’efficacité de la formation, ont également permis d’identifier deux types de motivations intervenant dans le processus formatif : la motivation à se former définie comme le désir d’apprendre le contenu d’un programme de formation et la motivation à transférer correspondant aux souhaits des stagiaires d’utiliser en situation les connaissances et les compétences maîtrisées durant la formation. Pour Battistelli, Majer et Odoardi (1993, 1994, 1998), Battistelli et Odoardi (2000, 2004), et dans la lignée de ces travaux, la motivation à la formation semble se présenter comme un construit multiforme, décomposable en :
- Une motivation à suivre la formation (motivation à orientation principalement instrumentale). La formation représente essentiellement un moyen dirigé vers le but d’obtention d’un emploi ou d’une amélioration du statut socioprofessionnel actuel.
- Une motivation à apprendre des contenus (motivation à orientation intrinsèque) qui relève de l’acquisition et/ou du développement de connaissances et des capacités professionnelles.
- Une motivation à transférer dans le travail les compétences acquises ce qui renvoie aux perspectives d’utilisation des éléments appris en contexte professionnel.
Pour ces auteurs, les conduites d’intégration comme de maintien en formation professionnelle peuvent être expliquées à partir de ces composantes motivationnelles. Ils insistent eux aussi sur l’importance des aspects motivationnels intrinsèques comme prédicteurs de l’intégration dans un parcours formatif, les éléments motivationnels d’orientation instrumentale ne permettant pas, à eux seuls, d’assurer la mise en œuvre et le maintien d’actions formatives (coûteuses pour l’individu). Par ailleurs, la motivation à transférer les compétences acquises dans le travail est plutôt liée, pour ces auteurs, aux contextes professionnels qui pourront se présenter pour les individus. De même, pour Noe (1986), la motivation à apprendre relève essentiellement de facteurs personnels alors que la motivation à transférer résulterait davantage de facteurs contextuels et organisationnels.
Dans l’objectif de préciser les contenus motivationnels, des investigations, menées par Battistelli, Majer et Odoardi (1993, 1994) auprès de 1204 sujets en formation (demandeurs d’emploi, salariés, jeunes, masters), ont mis en évidence l’existence de six facteurs :
- un premier facteur centré sur l’acquisition et le développement de connaissances et de capacités professionnelles ;
- un deuxième facteur de l’ordre de l’amélioration du statut professionnel et social ;
- un troisième facteur correspondant à l’amélioration des aspects relationnels ;
- un quatrième facteur relatif au développement des connaissances, capacités et habiletés générales ;
- un cinquième facteur portant sur la préoccupation de trouver ou de changer de travail ;
- un sixième facteur axé sur le développement des capacités d’innovation dans le travail.
Au-delà de l’identification des facteurs motivationnels, cette recherche a permis de constater que les résultats variaient selon les publics. Ainsi, les dimensions de nature intrinsèque (1er, 3e et 6e facteurs) sont plus saillantes chez les groupes de sujets qui travaillent alors que ce sont les 2e et 5e facteurs, de type instrumental, qui apparaissent plus marqués chez les demandeurs d’emploi.
Au regard des perspectives présentées, il semble donc que la motivation à la formation est constituée d’orientations, de motifs et de dimensions, articulés différemment selon les catégories de sujets et les objectifs de formation avec toutefois une constante : les facteurs intrinsèques liés au souhait d’apprendre et de développer de nouvelles compétences activeraient davantage et de façon privilégiée les conduites d’inscription et de persistance en formation. En outre, ces composantes motivationnelles seraient à même d’évoluer et de se combiner différemment au cours du parcours formatif, en fonction de l’expérience et de la redéfinition des projets pendant la formation (Carré, 2004 ; Michel, 1989). Ainsi, la présente étude entend (1) identifier la structure de la motivation à se former, avant et durant la formation (en début et en fin de celle-ci), de façon à étudier son éventuelle réorganisation auprès de groupes de personnes à trois moments clés d’un parcours formatif et (2) montrer l’influence de certains types de facteurs motivationnels sur les conduites effectives d’inscription et de maintien en formation. À cet effet, l’étude a consisté, pour les trois temps considérés, à prendre en compte d’abord les motivations à se former exprimées par les personnes puis les conduites effectives qu’elles ont mises en œuvre par la suite (entrée ou désistement et maintien ou abandon).
Au final, nous pouvons synthétiser le modèle d’analyse de la façon suivante :
Figure 1
Modèle d’analyse des motivations aux trois temps du parcours formatif
2. MÉTHODOLOGIE
2.1. Procédure et population
L’étude empirique est extraite d’une recherche plus large menée en France sur l’engagement en formation (Lagabrielle et Vonthron, 2006). La conception et la réalisation de l’étude ont été possibles grâce au partenariat établi avec le plus grand organisme français de formation professionnelle pour adultes. Pour tous les participants à l’étude, les formations visées ou entamées durent de 6 à 14 mois et mènent à des qualifications variées (niveau V à III) dans les secteurs du bâtiment (maçonnerie), de l’hôtellerie-restauration, de l’industrie (métallurgie) et du tertiaire (secrétariat, informatique par exemple).
Afin de répondre aux objectifs de recherche, trois groupes de personnes ont été interrogés à trois temps particuliers d’un cycle formatif :
- 96 sujets en T1. Les questionnaires ont été envoyés à des personnes ayant une réservation ferme dans une formation mise en place par l’organisme partenaire 1 à 3 mois avant le début du stage. 41,7 % de ces personnes n’est pas entré en stage.
- 213 sujets en T2. Les sujets ont été sollicités 1 mois après le démarrage du stage. 14,1 % a quitté la formation par la suite.
- 212 sujets en T3, 1 mois avant la fin du stage. 3,3 % a quitté la formation lors des semaines suivantes.
Pour T2 et T3, les sujets ont répondu à l’ensemble des questionnaires durant la formation. Les questionnaires ont été distribués et récupérés par des psychologues de l’organisme de formation sensibilisés à l’étude par une journée d’information.
2.2. Caractéristiques des groupes
Le premier groupe (T1) est composé de 80,2 % d’hommes d’un âge moyen de 31,6 ans. Les niveaux de formation initiale sont variés. 40,9 % est en emploi, la durée moyenne de l’activité professionnelle est de 10,3 années et 45,6 % des sujets est sans expérience de la formation professionnelle continue. 59,1 % d’entre eux est au chômage.
Les deux groupes en formation (T2 et T3) sont comparables sur les différentes caractéristiques sociobiographiques recueillies. Ils ne se distinguent pas significativement (t de student ou Chicarré) en ce qui concerne :
- l’âge : M = 31,8 ans, ET= 8,33 en T2 ; M = 33,5, ET= 8,49 en T3 ;
- le type de passé professionnel : 40,2 % du groupe total a toujours travaillé (ceci étant, les personnes peuvent être en emploi ou au chômage pour la première fois au moment de l’enquête), 32 % a vécu une alternance chômage/emploi, 9,4 % a effectué de courtes missions et 11,8 % a connu une longue interruption de travail, seul 3,6 % n’a jamais travaillé) ;
- le niveau scolaire initial : principalement, 42,2 % est de niveau V et 25,8 % est de niveau IV) ;
- la durée d’inactivité pour ceux qui sont au chômage au moment de l’enquête, soit 72 % des personnes. Principalement, 29,4 % a moins de 6 mois de chômage, 33 % a entre 6 et 12 mois, 19 % a entre 13 et 24 mois ;
- l’expérience de la formation professionnelle continue : 54,9% n’en a aucune ;
- le fait d’avoir appris un métier (59,5 % a déjà appris un métier).
Par contre, les deux groupes se différencient significativement (chi-carré = 35,3 ; p = .001) pour ce qui est de la répartition hommes/femmes (80,2 % d’hommes en T2 pour 52,4 % en T3). Cependant, les tests de Chi-carré effectués indiquent que le taux d’abandon n’est pas significativement différent chez les hommes et les femmes en T2 comme en T3.
Un numéro d’ordre donné à chaque questionnaire a permis d’effectuer des associations avec les conduites ultérieures d’entrée ou de désistement et de maintien ou d’abandon disponibles sur les bases de suivi administratif des stagiaires.
2.3. Les mesures effectuées
Tous les participants à l’étude ont répondu aux instruments de mesure suivants :
- un recueil de données sociobiographiques (sexe, âge, formation scolaire et professionnelle, itinéraire professionnel, expérience de la formation) ;
- un questionnaire de motivation correspondant à la version traduite du questionnaire de motivations à la formation de Battistelli et al. (1998). Cette échelle comprend 36 items présentant des motifs à se former (exemple d’item de nature intrinsèque : « je veux acquérir de nouvelles connaissances professionnelles ; exemple d’item de nature extrinsèque : « je réponds à une exigence des entreprises »). Les personnes répondent sur une échelle de Likert en 5 points, de « 1-Pas du tout important » à « 5-Tout à fait important ». Dans notre étude, les alphas de Cronbach sont .90 en T1, .95 en T2 et .95 en T3.
3. RÉSULTATS
3.1. Structure des motivations à chaque temps du parcours
Dans un premier temps, des analyses en composantes principales ont été réalisées sur le questionnaire de motivations à la formation afin d’identifier les facteurs motivationnels. En ce qui concerne T1, un premier facteur, avant rotation, sature 22 items et explique 24,45 % de la variance totale. Dans les analyses, celui-ci est considéré comme un facteur général de motivation à la formation. Après rotation varimax avec normalisation de Kaiser, cinq facteurs expliquent 45,05 % de la variance totale (saturations supérieures ou égales à .50). Nous avons défini le facteur 1 comme un facteur motivationnel centré sur la « recherche d’élévation du statut socioprofessionnel » (pour 13,62 %). Le facteur 2 apparaît comme un facteur de « développement des opportunités de changement professionnel » (pour 9,10 %). Le facteur 3 est dénommé « amélioration de la maîtrise des activités de travail » (pour 7,91 %). Le facteur 4 réfère au « développement de l’expertise et de la spécialisation » (pour 7,22 %) et le facteur 5 concerne l’« augmentation de l’employabilité » (pour 7,20 %). Dans les analyses, le facteur général de motivation ainsi que les cinq facteurs motivationnels spécifiques obtenus sont pris en compte.
Pour T2, les analyses en composantes principales réalisées sur les réponses à l’échelle font apparaître, avant rotation, un premier facteur saturant 33 items et expliquant 36,25 % de la variance totale. Pour T3, un premier facteur sature 31 items et explique 36,10 % de la variance totale. Dans les analyses, ces deux facteurs sont considérés comme un facteur général de motivation à la formation en T2 et un facteur général de motivation à la formation en T3.
Les analyses après rotation varimax avec normalisation de Kaiser font apparaître les dimensions suivantes (saturations supérieures ou égales à .50) :
- Pour T2 : cinq facteurs expliquent 52,67 % de la variance totale. Le facteur 1 a été défini comme un facteur motivationnel centré sur la « mise à jour et le perfectionnement des savoirs professionnels » (pour 12,87 %). Le facteur 2 apparaît comme un facteur « d’acquisition de nouveaux savoirs professionnels » (pour 11,46%). Le facteur 3 est dénommé « confrontation des expériences et acquis professionnels» (pour 10,05%). Le facteur 4 réfère à la « recherche d’élévation du statut socioprofessionnel » (pour 9,65%) et le facteur 5 concerne la « possibilité d’augmenter la sociabilité » (pour 8,63 %). Ces cinq facteurs sont également pris en compte dans les analyses.
- Pour T3 : on retrouve également cinq facteurs qui expliquent 50,85 % de la variance totale. Parmi ces cinq facteurs, quatre correspondent à des facteurs obtenus en T2. Le facteur 1 est similaire (pour 14,63 %). Le facteur 2 est similaire au facteur 4 en T2 (pour 10,24 %). Le facteur 3 est similaire au facteur 5 en T2 (pour 9,48 %). Le facteur 4 est similaire au facteur 2 en T2 (pour 9,31 %). Le facteur 5 n’a pas de correspondance en T2 et se définit comme « l’ouverture à une nouvelle orientation professionnelle » (pour 7,19 %).
A des fins de lisibilité, les différents facteurs sont répertoriés dans le tableau 1 suivant :
Tableau 1
Facteurs motivationnels aux trois temps de la formation
(Les pourcentages présentés entre parenthèses sont les pourcentages de variance totale expliquée)
3.2. Les facteurs motivationnels influençant les conduites de désistement ou d’entrée en formation
De premiers résultats descriptifs présentés dans le tableau 2 permettent de constater que les niveaux de motivation à se former sont élevés quel que soit le facteur motivationnel considéré. Ce sont les dimensions relatives aux opportunités de changement professionnel (F2) et au développement de l’expertise et de la spécialisation (F4) qui apparaissent comme les sources de motivation les plus fortes pour cette population.
Tableau 2
Résultats descriptifs
Les résultats des analyses de variance relatives aux différents facteurs motivationnels influençant la conduite d’entrée effective ou non dans le stage prévu sont présentés dans le tableau 3. Nous constatons que plus les personnes déclarent une forte motivation générale à se former, plus elles intègrent effectivement quelques mois plus tard le stage prévu. Par ailleurs, parmi les cinq dimensions identifiées, seules les possibilités « d’élévation du statut socioprofessionnel » (F1) ainsi que « les opportunités de changement professionnel » (F2) ont un impact sur la concrétisation du projet formatif établi au préalable. Enfin, il est à noter que le facteur « augmentation de l’employabilitéeacute; » ne paraît pas être un motif spécifique susceptible de mobiliser l’individu pour une formation.
Tableau 3
ANOVA relatives à l’influence des facteurs motivationnels sur l’entrée en formation
3.3. Les facteurs motivationnels influençant les conduites de maintien ou d’abandon en cours de formation
Les résultats présentés dans le tableau 4 concernent les moyennes, les écarts-types et la comparaison des moyennes obtenues par les groupes en T2 et T3 pour chaque variable de l’étude.
Tableau 4
Résultats descriptifs et comparatifs des groupes en formation
On constate que les facteurs qui sont présents en début comme en fin de formation restent d’un niveau constant et qu’aucune des différences de moyennes n’apparaissent significatives. En outre, l’acquisition de nouveaux savoirs professionnels s’avère être le facteur motivationnel le plus élevé pour nos deux groupes, en début comme en fin de formation.
Tableau 5
ANOVA relatives à l’influence des facteurs motivationnels sur
les conduites de maintien ou d’abandon en formation1
Les résultats, indiqués dans le tableau 5 et obtenus par des analyses de variance, montrent que seule une dimension motivationnelle différencie les stagiaires quant à leur décrochage ultérieur. Autrement dit, plus les stagiaires sont motivés en début de formation à acquérir de nouveaux savoirs et moins ils abandonnent par la suite le stage suivi.
4. DISCUSSION
4.1. L’entrée en formation
Nous avons signalé, au départ de cette étude, la multiplicité des facteurs motivationnels à la base d’une inscription en formation, mais également le taux conséquent de non-accès effectifs aux parcours formatifs et ce, malgré une demande socioprofessionnelle de plus en plus intense de développement des connaissances et des compétences. L’étude menée sur le terrain a permis d’aborder cette question puisque, dans la population prise en compte, 4 personnes sur 10 environ n’ont pas intégré la formation professionnelle qualifiante programmée.
Les résultats indiquent clairement l’existence de liens entre l’importance de la motivation et la mise en œuvre d’un comportement ultérieur d’entrée en stage. Ceci rejoint l’idée selon laquelle la motivation serait un facteur déterminant du rapport à la formation et comme l’indique Carré (2004, p. 298) qu’ « elle lui donne sa dynamique et son sens, et en représente une variable de synthèse solide et fiable, quand elle est correctement appréhendée ». Pour autant, la nature des motivations doit être envisagée. Nous montrons ainsi l’influence prépondérante de deux facteurs motivationnels spécifiques. Le premier renvoie à l’élévation attendue du statut socio-professionnel, le deuxième à l’augmentation des possibilités de modifier son parcours en emploi. Dans les deux cas, la notion de mobilité professionnelle, largement mise en avant par l’environnement socio-économique, apparaît de façon marquée au détriment de l’approfondissement des activités professionnelles connues. Il est à souligner que ces facteurs influençant la mise en œuvre de la conduite effective d’entrée en formation relèvent davantage de motifs à orientation extrinsèque plutôt qu’intrinsèque ce qui va à l’encontre des discours majoritairement tenus sur la question. S’il n’est pas remis en cause que la motivation semble indispensable pour se diriger vers un parcours formatif, les contenus « significatifs » de celle-ci ne concernent pas directement la motivation à apprendre. En ce sens, Vallerand et al (1989) avaient déjà montré l’importance de la motivation extrinsèque, souvent plus présente dans le domaine éducatif, que la motivation intrinsèque. De même, concernant des adultes reprenant leurs études, Gagnon et Brunel (2005) montrent qu’ils manifestent des niveaux élevés de motivation extrinsèque. Nous pouvons alors supposer que les conduites d’entrée en formation de notre population sont la conséquence des contraintes contextuelles (externes ou intégrées) amenant à la nécessité (sans doute clairvoyante et pragmatique) de faire évoluer sa trajectoire professionnelle. Par ailleurs, l’augmentation de l’employabilité, maître mot de ces dernières années et notamment dans le domaine de la formation tout au long de la vie ne se présente pas, ici, comme un élément motivateur significatif, générant une entrée en formation et ce, bien que la population interrogée soit constituée majoritairement de personnes au chômage.
4.2. La persistance en formation
Là encore, la motivation est régulièrement mise en avant pour expliquer bon nombre de conduites en formation. Concernant le maintien dans le cycle formatif entamé, rappelons que les défections restent nombreuses et sont estimées encore trop importantes tant par les décideurs et prescripteurs de formation que pour les organismes prestataires de programmes. Le début du cycle formatif apparaît manifestement comme un moment charnière puisqu’il génère à lui seul une part non négligeable de désistements (14 % de notre population en formation par exemple).
Si l’on considère le parcours dans son ensemble, les résultats obtenus dans notre étude montrent que la force générale de la motivation est d’un niveau similaire du début à la fin de la formation tant pour ceux qui persévèrent que pour ceux qui décrochent. En ce sens, nous ne pouvons donc pas parler d’une démotivation générale chez ces derniers pouvant expliquer cet abandon. Par contre, en examinant plus attentivement les facteurs motivationnels qui ont un impact sur l’abandon des personnes au cours de la formation, nous constatons que seule la dimension centrée sur le développement des connaissances et des compétences professionnelles prédit le maintien en formation du démarrage jusqu’à son issue. En ce sens, si, pour le groupe interrogé avant d’intégrer la formation, ce sont des facteurs motivationnels extrinsèques qui expliquent l’entrée effective en stage, c’est par contre un facteur motivationnel de nature intrinsèque, directement en lien avec l’apprentissage, qui explique la persistance en formation. Rappelons à cet égard que la motivation à apprendre est considérée comme un des aspects les plus significatifs de la motivation à la formation (Noe, 1986). Toutefois, dans notre étude, cette motivation à apprendre ne semble favoriser les conduites de persistance que lorsqu’elle est exprimée en début de stage. Cette même motivation en fin de stage, même si elle reste forte, ne paraît plus avoir d’effet pour se maintenir durant les dernières semaines du parcours formatif.
Nous pouvons également noter que la structure de la motivation se réorganise partiellement selon le moment du parcours formatif. Ainsi, si la confrontation de ses expériences et de ses acquis professionnels à d’autres représente une source de motivation à la formation apparaissant uniquement au commencement du stage, on note que les personnes en fin de formation deviennent plus sensibles aux incidences de la situation formative sur la réorganisation de leur trajectoire professionnelle. Comme si, finalement, cette dimension motivationnelle centrée sur les perspectives de mobilité de carrière, influente avant l’inscription dans un stage redevenait présente en fin du cycle formatif effectué. Ce résultat va dans le sens des recherches qui indiquent que la motivation est un processus mouvant, influencé par les circonstances (Michel, 1989 ; Levy-Leboyer, 1998). Il semble ainsi, auprès de la population étudiée, que l’expérience formative et le contexte d’emploi ou de non-emploi qui devient proche interviennent dans le développement des motivations pour construire et réactualiser certains projets professionnels.
5. CONCLUSION
Certes, la complexité des problématiques en jeu relevant de la prédiction des issues formatives ou de la compréhension des processus d’engagement a été maintes fois soulignée et ne peut se résumer au seul fait de la motivation. Pour autant, les motivations à se former sont sollicitées de façon dynamique tout au long des différentes étapes d’un parcours formatif. Il est apparu notamment qu’elles se construisaient et se réorganisaient au fil de l’avancement de l’insertion en formation. Avant l’entrée effective, les dimensions motivationnelles qui priment sont d’ordre extrinsèque, en lien avec les opportunités d’évolution socioprofessionnelle alors que, durant la formation, les contenus motivationnels les plus saillants sont de nature intrinsèque, en lien avec le processus de développement des savoirs professionnels. En outre, ce sont ces composantes extrinsèques de la motivation à se former qui agissent sur les conduites d’entrée tandis qu’une composante intrinsèque intervient dans la persistance en stage. Ces constats sont peut-être susceptibles d’éclairer autrement les débats théoriques et les résultats d’étude contrastés concernant l’influence majeure de telle ou telle orientation des motivations quant à l’engagement en formation. Enfin, nos analyses mériteraient d’être étayées dans le cadre d’une étude longitudinale plutôt que transversale, comme c’est le cas ici, ce qui permettrait de saisir la dynamique intra-individuelle des motivations à se former et ses impacts sur les conduites formatives posées par la personne.
Auteurs
Christine Lagabrielle et Anne-Marie Vonthron sont Maîtres de Conférences en Psychologie du travail à l’Université Victor Segalen-Bordeaux2 et membres de l’équipe de recherche « Psychologie Sociale des Insertions » du Laboratoire EA 4139 « Santé et Qualité de vie » de l’Université Victor Segalen-Bordeaux2. Elles sont co-responsables du Master professionnel Psychologie du travail et de la vie sociale, option Psychologie du travail et des organisations.
Courriels : christine.lagabrielle@u-bordeaux2.fr ; anne-marie.vonthron@u-bordeaux2.fr
Université Victor Segalen-Bordeaux2, Département de Psychologie, 3 Ter Place de la Victoire, 33076 Bordeaux cedex.
Dominique Pouchard est Psychologue du travail, chargé des études à l’Observatoire Régional des Études de l’AFPA-CROP Aquitaine.
Notes
- M T2Mt correspond à la moyenne pour les participants qui sont en début de formation et qui se sont maintenus jusqu’au bout ; M T2Ab correspond à la moyenne pour les participants qui sont en début de formation et qui ont abandonné celle-ci ensuite ; pour T3, le même principe est appliqué (rappelons qu’il s’agit des personnes interrogées un mois avant la fin de leur formation).
Abstract
This study sought to identify motivational factors inducing individuals to embark on a professional training course and to examine their influence on their behavior regarding enrolment in programs and sticking to them. Three groups were surveyed during their training: group 1: before training started (n = 96); group 2: when it started (n = 213); group 3: a month before the end (n = 212). Various intrinsic and extrinsic factors had an impact on subsequent behavior according to the moment during the training program. Before training, only extrinsic factors such as developing a professional status and increasing one’s job prospects had a significant effect on the future entry into training. On the other hand, during training, only an intrinsic factor, i.e. acquiring professional know-how, had an impact on sticking to the training program.
Références
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