Introduction : rappels et repères sur les motivations
Depuis de nombreuses années, la question de la motivation a été et continue d’être investiguée afin de comprendre pourquoi l’individu s’engage avec autant d’ardeur dans une activité ou au contraire répugne à s’investir dans une autre. Son champ d’études est extrêmement prolifique, les définitions et les modèles théoriques sont multiples, les tentatives de catégorisation et de synthèse louables. À titre d’exemples, citons la recension de quelques 140 définitions du concept par Kleinginna et Kleingina (1981), l’inventaire des modèles théoriques présenté par Rondeau et Morin (1996) ou encore les catégorisations des approches, courants et orientations depuis Campbell, Dunnette, Lawler et Weick (1970) jusqu’à Kanfer (1990).
Terme populaire par excellence, il est fréquent de s’y référer pour expliquer la dynamique qui sous-tend les comportements dans de nombreux champs et notamment ceux constitutifs du monde du travail et de l’emploi. Qu’il s’agisse d’orientation, de formation, d’insertion, d’évaluation, des changements de carrière ou encore des nombreux phénomènes touchant au monde organisationnel, la motivation est régulièrement convoquée. Trop fréquemment sans doute, car elle est devenue, à en croire les propos tenus par certains acteurs de ces différents domaines, le critère préalable de la sélection, du présentéisme, de la réussite, de l’efficacité, du maintien des conduites et le manque de motivation, l’explication quotidienne de tout problème posé par la personne dans la sphère professionnelle. Les cadres ne sont pas épargnés puisqu’ils doivent savoir motiver leurs équipes et des cabinets vont jusqu’à vendre des outils de stimulation de la motivation au travail établie comme constitutive des principales sources de gain de productivité d’une entreprise. Legrain (2003) évoque non sans raison « un concept magique » alimenté davantage par des idées reçues que par les apports d’études rigoureuses.
Il semble donc qu’il faille faire preuve de prudence et de nuances pour appréhender les motivations humaines et leurs effets, d’une part parce qu’elles sont investiguées par des perspectives voire des « écoles » conceptuelles très distinctes et d’autre part, parce qu’elles sont requises régulièrement auprès du grand public pour commenter nombre de problèmes socioprofessionnels réels. Force est de constater qu’il reste aujourd’hui délicat de rendre compte d’un processus complexe qui associe des contraintes environnementales (socioéconomiques, organisationnelles, culturelles) mouvantes à des besoins, valeurs ou aspirations individuelles en voie de recomposition. En conséquence, il apparaît réducteur d’essayer de comprendre les motivations sous-jacentes aux comportements sans identifier à la fois les logiques sociales et les logiques individuelles en présence. De la même manière qu’il est important de garder à l’esprit le caractère en partie inaccessible des motivations. Diel (1947) ou Anzieu (1959) entre autres ont montré qu’elles étaient constituées de forces plus ou moins inconscientes avec la difficulté qu’il peut y avoir à espérer les cerner complètement.
À titre introductif, proposons un rapide tour d’horizon des études sur la motivation dans les domaines qui nous intéressent plus particulièrement ici. Le terme « motivation »1 apparaît dans la seconde moitié du XIXe siècle (1845), avec l’idée de ressort de l’action humaine. Il est dérivé du terme « motif » qui renvoie à ce qui pousse au mouvement (1314). Le terme « immotivé » apparaît en 1866 puis celui de « démotivé » seulement au XXe siècle et essentiellement en psychopédagogie. Le dernier terme d’« amotivation » (synonyme d’absence de motivation) est plus contemporain encore et attaché à la théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan à partir des années quatre-vingt. Les premiers travaux scientifiques anglo-saxons abordant le concept de motivation semblent être ceux de Tolman (1932) et Lewin (1936). En France, on attribue traditionnellement l’ouverture des recherches sur la motivation à Diel (1947) et c’est grâce à ses ouvrages, semble-t-il, que le terme va devenir usuel des deux côtés de l’Atlantique.
À partir des années cinquante, commence une longue histoire où définitions et éclairages théoriques se renouvellent. Concernant les premières, nous en retiendrons trois. D’abord celle de Coquery (1991, p. 480)2 qui décrit la motivation comme « un processus psychophysiologique responsable du déclenchement, de l’entretien et de la cessation d’une action, ainsi que de la valeur appétitive ou aversive conférée aux éléments du milieu sur lesquels s’exerce cette action ». Cette définition a le mérite d’insister sur un processus composé de paramètres tout autant physiologiques que psychologiques (cognitifs en l’occurrence). De même, elle souligne l’aspect énergétique du processus motivationnel, énergie interne que l’on aura bien du mal à déterminer et qui reste en grande partie métaphorique. Ensuite, dans une optique systémique, Nuttin (1980, p. 124) envisage la motivation comme « l’orientation dynamique continue qui règle le fonctionnement, également continu, de l’individu en interaction avec son milieu ». Un des apports majeurs de cet auteur est de relever l’importance de l’objectif visé dans le processus motivationnel, mais également de montrer que l’individu dont on étudie la dynamique des comportements est un « individu en situation », qui porte en lui de multiples expériences d’interdépendance avec son environnement. Enfin, nous citerons la définition de Vallerand et Thill (1993, p. 18) largement reprise dans les travaux actuels. Pour eux, la motivation représente « un construit hypothétique utilisé afin de décrire les forces internes et/ou externes produisant le déclenchement, la direction, l’intensité et la persistance du comportement ». Roussel (2000, p.5), à la lumière d’une recension des études théoriques effectuée en 1996 et de cette dernière définition propose de considérer la motivation au travail comme « l’ensemble des efforts déployés dans le travail dirigés avec intensité et de manière persistante vers des objectifs attendus. Ces efforts sont définis comme la somme d’énergie physique, intellectuelle et/ou mentale engagée dans une activité ». Ainsi, à travers ces différentes définitions, plusieurs éléments fondamentaux sont mis en avant comme (1) le fait que la motivation est induite et non observable directement (2) le fait qu’elle se situe au carrefour d’influence de facteurs personnels (besoins, pulsions, personnalité, représentation, etc.) et situationnels (liés aux caractéristiques environnementales) ou (3) qu’il faille distinguer avec précision ce qui est de l’ordre du déclenchement, de la direction, de l’intensité ou du maintien du comportement.
Nous avons fait état d’une production particulièrement riche et féconde sur le concept de motivation qu’il serait trop long de retracer ici. Ces différentes conceptions sont amplement reprises dans plusieurs ouvrages généraux concernant la motivation (Mucchielli, 1981 ; Fenouillet, 2003 ; Vallerand et Thill, 1993 ; Shah et Gardner, 2007) ou plus spécifiques au domaine professionnel (Pinder, 1984 ; Steers et Porter, 1987 ; Francès, 1995 ; Roussel, 1996 ; Levy-Leboyer, 1998, 2006). Soulignons plutôt que celles-ci ont été catégorisées à des fins d’intelligibilité par courants théoriques, par exemple, innéiste, béhavioriste, situationniste, empiriste ou interactionniste chez Mucchielli (1981) ou par approches (psychodynamique, cognitive et comportementale chez Rondeau et Morin en 1996).
Après les travaux de Campbell, Dunnette, Lawler et Weick (1970), il devient classique de distinguer les théories de contenu des théories de processus. Respectivement, les unes ont pour objet d’identifier et d’agencer les différentes forces qui incitent l’individu à adopter une conduite tandis que les autres, adoptant le point de vue dynamique, tentent d’expliquer de quelle façon ces forces interagissent entre elles et avec l’environnement pour mobiliser un comportement. Plus récemment, Kanfer (1990) a proposé de classer les motivations du travail à l’intérieur de trois groupes : (1) les théories des besoins-mobiles-valeurs ; (2) les théories des choix cognitifs ; (3) les théories de l’autorégulation-métacognition. Le premier groupe, composé des théories sur les besoins, sur la motivation intrinsèque et sur la justice organisationnelle entend examiner les déterminants qui agissent comme forces internes et externes de la motivation (Maslow, 1943 ; Adelfer, 1969 ; Herzberg, 1971 ; Deci, 1971 ; Deci et Ryan, 1985 ; Adams, 1963 ; Greenberg, 1987). Le second groupe, centré sur les mécanismes de la motivation est constitué de trois approches : l’approche cognitive interactionnelle (Atkinson, 1957), l’approche cognitive intermittente qui renvoie à la théorie des attentes de Vroom (1964) et l’approche des dynamiques de l’action (Atkinson et Birch, 1978). Ces théories, assimilables à des théories de processus, insistent sur le poids de la valeur subjective donnée aux buts poursuivis par l’individu et des résultats escomptés ou encore sur la multiplicité des tendances motivationnelles et leur variation dans le temps. Le dernier groupe s’intéresse quant à lui aux processus cognitifs et affectifs qui permettent à l’individu d’atteindre son objectif. Il est formé par la théorie de la fixation des objectifs de Locke (1968), la théorie sociocognitive de Bandura (1986) et la théorie du contrôle de Carver et Sheir (1981), qui sera reprise par la suite dans la théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan (1991)3. Ces conceptions contrastées ont donné lieu à des oppositions parfois fortes entre les tenants de l’une ou les partisans de l’autre. De la même manière que le suffrage accordé à certaines (estimées plus opératoires) a impulsé des applications dans les domaines sociaux et professionnels au détriment d’apports plus circonspects, mais tout aussi instructifs amenés par d’autres. À cet égard, l’intérêt de la taxonomie de Kanfer (1990) est certainement d’avoir introduit des théories qui, jusque-là, n’entraient pas dans les catégorisations habituelles et d’avoir développé les liens qu’elles entretenaient à l’intérieur de chaque ensemble.
L’universalité des facteurs décisifs de la motivation, la rationalité des mécanismes motivationnels ou encore l’association systématique entre motivation et effort méritent d’être encore questionnées au regard des résultats empiriques souvent moins nets et absolus que les discours qui les précèdent. L’agencement des différentes conceptions au sein de modèles théoriques intégrateurs s’est donc développé ces dernières années. En ce sens, Kanfer (1990) a présenté des critères de classement permettant de rechercher soit des complémentarités, soit des convergences, afin de dépasser les clivages et d’articuler de façon plus fine les diverses conceptions existantes (voir à ce propos la synthèse sur les métamodèles de la motivation au travail réalisée par Dalmas, 2007). Dans leur modèle intégrateur, Katzell et Thompson (1990) associent par exemple des dimensions issues des trois groupes cités précédemment dans le but de mettre en évidence les théories redondantes et d’améliorer la prédictivité de chacune. Des variables dispositionnelles, environnementales, incitatives, attitudinales ou normatives, des variables centrées sur les objectifs, l’énergie et le temps investi dans une activité, des variables portant sur les ressources, le renforcement, la performance ou l’équité sont ainsi réunies pour être testées et positionnées dans leur participation respective au processus motivationnel. Les analyses démontrent un bon niveau de représentativité de ce type de modèle bien que celui-ci puisse apparaître trop large pour donner des résultats précis (Katzell, 1986).
Dans cette même perspective globalisante, les dernières études adoptent une visée transdisciplinaire en associant des concepts issus des différentes sciences sociales et humaines. On y trouve essentiellement les modèles de la théorie du contrôle (Klein, 1989), les modèles de l’allocation des ressources (Kanfer et Ackerman, 1989), les modèles de la fixation des objectifs et de l’autorégulation impulsés par Locke (1997, 2004) et les modèles de la motivation et de l’implication organisationnelle portés par Meyer, Becker et Vandenberghe (2004). Ces différentes modélisations sont constituées de composantes variées, souvent de niveaux dissemblables, qui interviennent à des moments distincts du processus motivationnel. Elles montrent principalement un système de va-et-vient d’informations, d’évaluations et d’ajustements permanents. Grâce à elles, des étapes ou séquences ont été repérées (Locke, 1991) de même que des variables modératrices (par exemple l’aptitude des individus, la complexité des activités visées, le type d’engagement) ou médiatrices (comme le type de régulation des objectifs ou le type d’implication) ont pu être identifiées. C’est un fait, ces travaux ont permis de recenser, en dépassant les fractionnements théoriques, un ensemble important des dimensions à l’œuvre dans la motivation tout en les approfondissant et en essayant d’en voir les limites et les extensions futures. Si la profondeur et la complexité des motivations humaines ne font actuellement pas de doute, gageons que les dernières avancées dans le domaine aident à atteindre un niveau de compréhension suffisant pour éloigner les schémas simplistes arguant de ce qui détermine l’action humaine ; souhaitons également que les organisations et les décideurs puissent en tirer des indications suffisamment précises et opérationnelles pour prendre des décisions fondées et mûrement réfléchies.
Ce rapide panorama nous paraissait nécessaire pour souligner l’intérêt toujours renouvelé d’un tel concept, l’étendue des réflexions auxquelles il a donné lieu, mais aussi pour insister sur la nécessité (notamment en raison d’une demande sociale forte) de publier régulièrement des études éprouvées sur la motivation. Ce numéro entend ainsi proposer, de façon modeste, plusieurs contributions sur certains aspects motivationnels dans les domaines du travail et de la formation. Une première section propose des réflexions critiques quant au concept et à certaines théories fortement développées aujourd’hui (trois articles) tandis que la seconde partie aborde les motivations dans plusieurs domaines spécifiques : validation des acquis de l’expérience (VAE), formation professionnelle continue ou initiale, institutions de travail publiques ou privées (cinq articles).
Pour débuter ce numéro, Claude Lemoine propose d’entrée de jeu un sous-titre à son article quelque peu provocateur dans les temps actuels : « faut-il être motivé pour travailler ? ». L’auteur présente une réflexion critique sur les conceptions de la motivation en termes d’intérêt, de besoin et d’influence et pour chacune d’elle, en montre les limites dans le domaine du travail et de l’emploi. Une étude par questions ouvertes auprès de jeunes de 18/20 ans sur le principe des associations spontanées appuie sa démonstration et indique que la motivation réfère à une activation potentielle, variable dans le temps, pouvant ou non être déployée selon les attentes et les souhaits. Quatre processus sont ensuite développés pour rendre compte d’une motivation qui n’existe pas en soi, mais qui doit être repensée en fonction des activités projetées, qui est autorégulée par un sujet capable d’intervenir sur lui-même et qui, du coup, s’étaye en partie sur les notions d’appropriation, d’autonomie et d’implication.
Partant du constat que la motivation constitue une explication récurrente des agents sociauxévaluateurs (hiérarchiques, enseignants, travailleurs sociaux, entraîneurs sportifs), Boris Vallée et Pierre-Henri François posent la question de la normativité sociale de ce type d’argumentation (être ou ne pas être motivé). Ils s’attardent sur la Théorie de l’Autodétermination (TAD) de Deci et Ryan (1985, 1991) et proposent d’attirer notre attention sur certains points de cette théorie qui, pour eux, favorisent la promotion d’un système de pensée ancré culturellement et idéologiquement dans l’individualisme occidental et libéral. Ils posent l’hypothèse d’une valorisation sociale des formes de motivations autodéterminées et amènent plusieurs arguments en faveur de la mise en avant de déterminations individuelles au détriment des déterminations contextuelles. L’assertion sur les besoins de compétence, d’autonomie et d’affiliation liés au comportement autodéterminé et posés comme universels, innés et psychologiques est notamment questionnée. En outre, les travaux sur la théorie de l’engagement et la norme d’internalité sont sollicités pour comprendre comment s’organisent de façon cohérente les différentes perspectives autour d’un syndrome culturel individualiste.
Dans la même veine, Florence Cassignol-Bertrand et Claude Louche interrogent la normativité de la motivation intrinsèque. Les auteurs font le point sur quatre années d’investigations de cette norme et présentent des résultats issus de plusieurs recherches utilisant le paradigme d’autoprésentation et le paradigme des juges. Concernant la valorisation de cette norme, ils constatent que la motivation intrinsèque est convoquée pour se faire bien voir et qu’en parallèle les évaluateurs privilégient les personnes motivées intrinsèquement plutôt que celles motivées extrinsèquement. Par contre, les données relatives à l’utilité sociale d’une telle norme semblent moins homogènes et donnent des conclusions plus nuancées. En effet, dans le domaine professionnel, la motivation intrinsèque est plus fortement exprimée auprès des hiérarchiques qui ont des activités d’évaluation à l’égard de leurs subordonnés, mais ces mêmes effets normatifs sont retrouvés en contexte familial. Les auteurs restent donc précautionneux quant à la fonction sociale de cette norme et invitent à d’autres investigations afin de consolider ces premières analyses.
En France, la validation des acquis de l’expérience (VAE) est une mesure reconnue par le Code du travail qui donne la possibilité à toute personne, quels que soient son âge, son niveau d’études, son statut, de faire valider les acquis de son expérience professionnelle ou extra-professionnelle pour obtenir un diplôme, un titre ou un certificat de qualification professionnelle. Le nombre de candidats à cette mesure ne cessant d’augmenter, Gilles Pinte, Roseline Le Squère et Jacques Fischer-Lokou se sont intéressés aux facteurs de motivation et de démotivation évoqués par les personnes engagées dans une telle démarche. Les sentiments de contrôle interne et d’auto-efficacité sont développés pour amener un éclairage sur les propos recueillis lors de l’étude qualitative effectuée. Différents facteurs de réussite ou d’échec de la démarche sont détaillés avant que l’auteur n’insiste sur la question de la réflexivité qui cimente la mobilisation de la personne dans ce moment particulier de retour sur son parcours personnel et professionnel. Au final, il semble que la sous-estimation d’une perception positive entre un contrôle interne et la réussite comportementale ainsi que le manque de confiance en soi représentent des facteurs importants d’échec de la démarche.
Ces dernières années, face à l’ampleur du phénomène formatif « tout au long de la vie », les raisons qui poussent les individus à se former n’ont pas échappé aux investigations. En ce sens, Christine Lagabrielle, Anne-Marie Vonthron et Dominique Pouchard entendent d’une part, identifier la structure de la motivation à se former, avant et durant un parcours formatif, de façon à examiner son éventuelle réorganisation et d’autre part, étudier l’influence de facteurs motivationnels sur les conduites effectives d’inscription et de maintien en formation professionnelle qualifiante. Les résultats issus d’une recherche menée auprès d’adultes, stagiaires de la formation continue, mettent en lumière l’impact de facteurs motivationnels extrinsèques sur l’entrée en formation (ce qui va à l’encontre de discours majoritairement tenus sur la question) alors qu’ils montrent le poids de contenus motivationnels d’ordre intrinsèque (motivation à apprendre) en ce qui concerne le maintien en formation. En outre, aucun lien n’est trouvé entre démotivation et désistement en cours de stage. Pour les auteurs, ces résultats sont à même d’éclairer autrement les débats actuels et les résultats contrastés obtenus sur l’engagement en formation.
Madeleine Lefebvre part de l’insatisfaction professionnelle dont souffrent les enseignants québécois comme les enseignants occidentaux, insatisfaction dont on connaît les multiples effets délétères : désengagement envers l’organisation, démotivation, épuisement professionnel, démission, etc. Afin de favoriser la future satisfaction professionnelle des étudiants en enseignement, les universités québécoises doivent notamment les aider à mieux gérer leurs motivations. L’étude des textes posant les orientations officielles et des programmes de formation des maîtres du secondaire s’attache ainsi à vérifier qu’ils intègrent bien des éléments (tant dans leur conception que dans leur opérationnalisation) visant à développer les motivations et la satisfaction professionnelle. Quatre indicateurs sont retenus pour apprécier les missions et les référentiels développés par les différentes institutions responsables de la formation des enseignants. L’analyse documentaire effectuée permet plusieurs constats allant dans le sens d’une intégration insuffisante des aspirations professionnelles, d’un manque d’information des étudiants quant aux conditions réelles d’exercice des professions d’éducation ou encore d’une faible préoccupation de leurs motivations professionnelles.
En Italie, l’administration publique a introduit « une direction par objectifs » ce qui modifie considérablement les responsabilités et les fonctions des cadres et dirigeants qui y travaillent. L’orientation vers des objectifs d’efficacité et de résultats introduit de nouveaux paramètres de gestion des actions menées et doit compter sur la mobilisation des acteurs. Partant d’un modèle théorique construit en intégrant les résultats de plusieurs recherches, Milena Atzori et Adalgisa Battistelli s’attachent à montrer le système de relations complexes existant entre motivations, engagement et autorégulation des objectifs et performance au travail. Elles soulignent, entre autres, que plus on va vers un niveau de motivation réglé par des facteurs extrinsèques, plus les aspects socioculturels prennent de l’importance (par exemple, les facteurs situationnels comme la perception de soutien reçu de la part du supérieur ou le degré d’équité perçue favorisent l’identification et l’introjection des objectifs assignés par l’organisation). Au niveau dispositionnel, il semble que l’aspect central autour duquel s’organisent les forces volitives capables de soutenir les comportements soit le sentiment de compétences. À travers la complexité du modèle élaboré, une première hiérarchisation des dimensions pouvant augmenter l’investissement des employés est ainsi proposée.
Daniel Gilbert, Isabelle Gillet et Caroline Perrin s’intéressent au lien direct généralement envisagé entre la motivation au travail et la performance. Ils souhaitent vérifier le postulat quasi explicite que les salariés les plus motivés et satisfaits des caractéristiques de leur travail sont les plus efficaces. Pour cela, à titre exploratoire, les auteurs ont proposé à une trentaine de commerciaux du secteur bancaire, connus pour avoir ou non atteint leurs objectifs de vente, un inventaire de motivations au travail et un questionnaire de satisfaction. Les résultats obtenus auprès de cette population ne montrent pas que les motivations intrinsèques soient des indicateurs de l’atteinte ou de la non-atteinte des objectifs annuels de production. De plus, il apparaît que les composantes extrinsèques du travail (avantages attribués, salaire, promotion) occupent une place plus importante qu’attendu au regard de la littérature actuelle sur le sujet. Les auteurs invitent ainsi à la vigilance quant aux conséquences des systèmes d’évaluation, de rémunération ou d’avancement mis en place par les entreprises pouvant modifier le rapport du salarié à son activité professionnelle. Enfin, les deux types de motivation sont associés chez les salariés de ce service : les plus motivés par les avantages extrinsèques de leur travail sont aussi les plus motivés intrinsèquement…
Au final, les premières contributions permettent de rappeler que les modèles motivationnels, quels qu’ils soient, sont toujours ancrés dans un contexte et une culture. En cela, il est souhaitable de se questionner sur leur fondement théorique et de rechercher l’existence ou pas d’idéologies sous-jacentes. Les contributions suivantes abordent les motivations dans plusieurs domaines de la sphère professionnelle et formative. Elles souscrivent au fait que les motivations ne constituent pas un état en-soi, un trait naturel, une qualité possédée, mais qu’elles sont toujours liées à des situations spécifiques et associées à d’autres facteurs participant à leur développement.
Reuchlin en 1977 soulignait que le concept de motivation renvoie à de larges domaines, à des faits multiples et qu’il est étudié par des théories et des méthodes différentes. Dans la mesure où la difficulté d’une approche unifiée de la motivation est établie, retenons d’autant plus l’intérêt et l’utilité du débat pour progresser vers un savoir intégré concernant la dynamique des conduites humaines.
Auteur
Christine Lagabrielle est Maître de Conférences en Psychologie du travail à l’Université Victor Segalen-Bordeaux2 et membre de l’équipe de recherche « Psychologie Sociale des Insertions » du Laboratoire EA 4139 « Santé et Qualité de vie » de l’Université Victor Segalen-Bordeaux2. Elle est coresponsable du Master professionnel Psychologie du travail et de la vie sociale, option Psychologie du travail et des organisations. Ses travaux de recherche portent sur les trajectoires professionnelles et les événements qui la ponctuent : chômage, bilan de compétences, formation professionnelle, intégration dans des métiers atypiques, etc. Courriel : christine.lagabrielle@u-bordeaux2.fr
Université Victor Segalen-Bordeaux2, Département de Psychologie,
3 Ter Place de la Victoire,
33076 Bordeaux cedex.
Notes
- Selon le dictionnaire historique de la langue française dirigé par A. Rey (1998).
- Citée dans le grand dictionnaire de la Psychologie, Larousse, 1997.
- Voir à ce propos la synthèse proposée par N. Oubrayrie-Roussel et P. Roussel dans les notes du LIHRE (Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche sur les Ressources Humaines et l’Emploi), note 345, Juillet 2001.
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