Comment limiter les conséquences du plafonnement des carrières : une vérification empirique de trois pistes d’intervention auprès d’une population de cadres

Version PDFMichel Tremblay
École des Hautes Études Commerciales de Montréal

Alain Roger
Institut d’administration des entreprises, Aix-Marseille


Auteur

Contenu

Le concept de plateau de carrière
Les conséquences du plateau de carrière
Les solutions potentielles pour faire face au plateau de carrière
Méthodologie
Résultats
Discussion


Depuis quelques années, les entreprises portent une attention croissante au phénomène de plafonnement des carrières. Une enquête réalisée auprès des responsables du personnel a révélé que 48 % des participants considéraient le plafonnement des carrières comme un problème important dans leur organisation (Rosen et Jerdee, 1988). Une recherche de Tremblay et Roger (1993), réalisée auprès d’une population de cadres canadiens francophones, a montré que plus de 42 % des participants estimaient avoir atteint le stade du plafonnement de carrière. Ce blocage dans l’évolution de carrière peut, selon plusieurs analystes, entraîner de l’insatisfaction chez les employés ainsi que des problèmes de productivité et de loyauté (Nicholson, 1993). Il est donc important de documenter davantage la question des effets du plafonnement de carrière et d’identifier les solutions possibles pour améliorer le fonctionnement des organisations et favoriser le développement des individus qui la composent.

Le concept de plateau de carrière

Le plateau de carrière est habituellement défini comme un arrêt prolongé ou un sentiment de blocage de la promotion d’un individu. Nous dirons que celui-ci est plafonné. Pour la majorité des chercheurs, la notion de plafonnement de carrière renvoie à une conception linéaire de la carrière, c’est-à-dire axée sur une ascension progressive dans la pyramide hiérarchique. D’autres ont opté pour une définition moins restrictive du plateau de carrière en prenant en considération à la fois les mouvements verticaux et horizontaux (Veiga, 1981; Gerpott et Domsch, 1987). Certains adoptent une vision encore plus large en associant le plateau de carrière à l’incapacité d’assumer des mandats plus exigeants et de plus grandes responsabilités (Feldman et Weitz, 1988). D’autres chercheurs ont tenté de cerner et de mesurer les diverses formes que prend le plafonnement : Chao (1990) ainsi que Tremblay, Roger et Toulouse (1994) ont fait ressortir l’intérêt de discerner au moins deux dimensions du plafonnement de carrière, une dimension objective (observable), associée à une durée excessive au même niveau, et une dimension subjective (personnelle), associée à la perception de possibilités d’avancement limitées.

La documentation propre à cet aspect de carrière pose comme postulat de base que le plateau de carrière est quelque chose de fondamentalement négatif. Plusieurs travaux empiriques récents ont eu pour objet d’évaluer les conséquences du plafonnement de carrière sur les attitudes et les comportements au travail.

Les conséquences du plateau de carrière

Plusieurs études ont montré que le ralentissement ou la fin de l’évolution de carrière pouvait susciter des réactions négatives et entraîner une détérioration de l’efficacité individuelle et organisationnelle. Des recherches ont montré par exemple que le fait d’atteindre un plateau de carrière peut réduire l’effort et le nombre d’heures consacrées au travail des individus plafonnés, leurs aspirations pour l’avancement, leur satisfaction extrinsèque et intrinsèque, leur degré d’engagement envers l’organisation et qu’il peut accroître leur niveau d’absentéisme ainsi que leur désir de se syndiquer (Near, 1984; Gattiker et Larwood 1986; Gerpott et Domsch, 1987; Stout et coll., 1988; Chao, 1990; Milliman, 1992; Tremblay, Roger et Toulouse, 1994). D’autre part, Chao (1990), Milliman (1992) et Tremblay et coll. (1994) ont montré que plusieurs conséquences présumées du plafonnement de carrière, bien que faiblement associées à la stabilité dans l’emploi (plateau objectif), sont en revanche très fortement reliées à la perception de plafonnement (plateau subjectif à gauche de Tremblay, Roger et Toulouse, 1994).

D’autre part, Chao (1990), Milliman (1992) et Tremblay et coll. (1994) ont montré que plusieurs conséquences présumées du plafonnement de carrière, bien que faiblement associés à la stabilité dans l’emploi (plateau objectif), sont en revanche très fortement reliées à la perception de plafonnement (plateau subjectif).

Toutefois, l’influence du plafonnement de carrière est loin de faire l’unanimité. En effet, on constate plusieurs résultats contradictoires et non concluants. Par exemple, ni Near (1984), ni Evans et Gilbert (1984) n’ont trouvé de différences significatives sur le plan de la satisfaction générale entre les répondants plafonnés et non plafonnés. Les résultats obtenus par Orpen (1983) et Veiga (1981) sur la satisfaction par rapport au travail lui-même ne sont pas plus concluants. En ce qui concerne la satisfaction par rapport au supérieur immédiat ou à la supervision exercée, les résultats se révèlent également très ambigus : certaines recherches concluent que les sujets non plafonnés réagissent plus positivement à la supervision (Orpen, 1983), alors que d’autres recherches concluent le contraire (Slocum et coll., 1985) ou ne décèlent aucune différence significative à cet égard (Veiga, 1981). De même, l’étude récente de Nicholson (1993) n’aurait pas décelé de différences significatives entre les différents groupes de sujets sur le plan de la satisfaction de la carrière interne, de la satisfaction de la carrière externe, de la satisfaction future anticipée et des aspirations de carrière.

Pour expliquer ces résultats contradictoires, certains auteurs (Ference et coll., 1977; Veiga, 1981; Slocum et coll., 1985; Chao, 1990 ; Milliman, 1992; Nicholson, 1993; Tremblay et coll., 1994) avancent l’hypothèse que le plafonnement de carrière ne serait pas un phénomène fondamentalement négatif : les réactions au plafonnement peuvent varier avec le temps et être plus ou moins accentuées selon les caractéristiques des emplois concernés et le contexte organisationnel. Toutefois, on ne sait pas réellement pourquoi certains individus réagissent de façon différente au plateau de carrière. L’étude de variables modératrices entre plafonnement et réactions individuelles représente un pas en avant dans l’explication de ces divergences et la recherche de solutions pour aider les entreprises à gérer leurs ressources humaines d’une façon plus efficace.

Les solutions potentielles pour faire face au plateau de carrière

Plusieurs variables modératrices ou solutions potentielles ont été suggérées et prises en compte par divers auteurs. Par exemple, Chao (1990) a trouvé que l’ancienneté dans l’emploi pouvait modérer la relation entre la perception de plafonnement et la satisfaction intrinsèque et extrinsèque de l’emploi et l’identification à l’entreprise. Milliman (1992) a pour sa part étudié l’effet modérateur des aspirations de carrière des individus et de l’intérêt que leur supérieur portait à leur évolution. Ses résultats indiquent que si le plafonnement de carrière demeure constant, l’intérêt porté par le supérieur peut influencer l’implication du subordonné dans l’organisation, sa satisfaction par rapport à son salaire et ses chances d’avancement. D’autre part, les résultats de Gerpott et Domsch (1987) ont montré que le soutien du supérieur immédiat et les caractéristiques de l’emploi peuvent jouer un rôle médiateur entre le plafonnement objectif de carrière et les attitudes et comportements au travail. Finalement, l’étude de Hall (1985) suggère que les voies de carrières dans les organisations peuvent moduler les attitudes des managers suivant leur statut de carrière.

Notre recherche vise à poursuivre ces travaux en étudiant plus spécifiquement l’influence de trois variables liées aux caractéristiques de l’emploi occupé, soit l’ambiguïté de rôles, le potentiel d’enrichissement du poste et la participation à la prise de décision.

L’ambiguïté de rôles

« L’ambiguïté de rôles a été définie comme le degré d’incertitude ou le manque de clarté par rapport à la performance attendue, aux méthodes pour réaliser le travail, et aux conséquences de la performance » (Grean, 1976). Les méta-analyses de Fischer et Gitelson (1983) et de Jackson et Schuler (1985) sur les conséquences conceptuelles et empiriques de l’ambiguïté de rôles dans différents types d’emplois ont fait ressortir l’impact de cette variable au plan psychologique et comportemental. En ce qui a trait au lien entre l’ambiguïté de rôles et l’évolution de la carrière, l’étude de Grandrose et Portwood (1987) a montré que la clarification des plans organisationnels et des possibilités individuelles pouvait réduire l’anxiété et les frustrations des employés et, par voie de conséquence, mener à des attitudes plus positives au travail. En réduisant l’incertitude liée au statut de carrière de l’individu dans l’organisation, on peut accroître la satisfaction à l’égard de l’organisation et de plusieurs autres aspects du travail (Van Maanen, 1978; Grandrose et Portwood, 1987). L’ambiguïté de rôles semble donc avoir un impact sur les attitudes personnelles. Dans le cas de salariés plafonnés, cet élément est d’autant plus important que d’autres facteurs de satisfaction ou de performance liés à une perspective d’évolution de carrière font défaut. Feldman (1989) suggère comme solution au plafonnement de carrière d’améliorer les systèmes d’évaluation de la performance et la rétroaction fournie : une vision plus réaliste ou moins ambiguë peut influencer non seulement la satisfaction au travail, mais également la performance au travail. Carnazza et ses collaborateurs (1981) concluent à cet égard que lorsqu’une organisation a un programme efficace pour fixer des objectifs clairs, s’assure que la rétroaction de la performance est perçue correctement – et en mesure de limiter l’ambiguïté au sujet de la performance – elle peut espérer influencer ses managers plafonnés dans un sens positif. Leur recherche révèle que le facteur le plus fortement corrélé à la performance des plafonnés est la communication de la performance. Plus le manager pense avoir des objectifs clairs, plus il reçoit une rétroaction sur ses tâches spécifiques et sur l’ensemble de sa performance, plus il a une idée claire des responsabilités et devoirs qu’il doit assumer, meilleure est sa performance.

Le potentiel d’enrichissement du poste occupé

La variation des compétences nécessaires, la possibilité d’associer le travail à un résultat tangible, la portée du travail, l’autonomie et les commentaires qu’on reçoit seraient autant de caractéristiques de l’emploi qui peuvent influencer les attitudes des individus à son égard, en leur donnant le sentiment d’exercer un travail valorisant, de se sentir responsables de leurs résultats. Hackman et Oldham (1976) qualifient ces sentiments d’états psychologiques critiques en raison de leur influence sur les attitudes et les comportements au travail. C’est ainsi que ces variables psychologiques auraient un effet sur la motivation, la satisfaction, la performance, l’absentéisme, le taux de départ et la qualité du travail.

Deux recherches de type méta-analyse (Noe et coIl., 1985; Fried et Ferris, 1987) ont démontré en outre que les composantes individuelles des emplois étaient reliées à des mesures d’attitudes et de comportements tels que la satisfaction, la performance, l’absentéisme. Plusieurs études suggèrent également que, dans les entreprises, les sujets plafonnés sont souvent affectés à des emplois qui présentent moins de potentiel d’enrichissement (Veiga, 1981; Near, 1985; Orpen, 1986). Par exemple, dans l’étude de Orpen (1986), les sujets non plafonnés tendaient à décrire leur emploi comme ayant plus d’autonomie, de variété, comme permettant de recevoir plus de rétroaction et à être plus satisfaits de leur emploi. Cette étude a en outre montré que le potentiel d’enrichissement du poste et toutes ses dimensions étaient significativement plus reliés à la satisfaction chez les sujets non plafonnés que chez les sujets plafonnés. Une recherche menée par Bailyn et Lynch (1983) révèle que les sujets qui avaient été promus managers au cours d’une période de huit années et demie avaient accru leur implication, tandis que ceux qui avaient conservé le même emploi avaient réduit leur implication dans leur travail au cours de cette période. Toutefois, parmi ces derniers, ceux dont les responsabilités ont été modifiées (plus de responsabilités, de coordination et de supervision) avaient pour leur part maintenu le même niveau d’implication.

Certains auteurs suggèrent donc que l’essentiel, pour éviter l’insatisfaction et la démotivation des salariés plafonnés, est d’éviter le plafonnement de contenu de l’emploi (Bardwick, 1986; Slocum, Cron et Yows, 1987; Leibowitz et coll., 1990). Feidman et Weitz (1988) soutiennent que, lorsque la source du plafonnement de carrière provient d’un manque de motivation intrinsèque, l’enrichissement des tâches peut constituer une solution appropriée. En particulier, pour ceux qui sont performants, mais n’ont pas de possibilités de promotion (les piliers), la modification du contenu de l’emploi peut constituer une marque de confiance significative (Bardwick, 1986) et une stratégie efficace de rétention du personnel (Wright, 1990). Et selon Payne (1984), « plus les salariés peuvent être motivés par l’entreprise et relever les défis de leur emploi, moins la nécessité de relier la motivation à d’autres possibilités qui s’offrent à eux se fait sentir ».

Participation aux décisions

La participation est définie comme un processus dans lequel l’influence est partagée entre les individus évoluant dans des postes hiérarchiquement inférieurs (Wagner, 1994). Plus spécifiquement, on définit la participation comme une approche d’implication systématique des employés dans le processus de décision touchant leur travail et leur environnement de travail dans le but de réduire les coûts de production, d’améliorer la qualité des produits, de faciliter la communication, d’accentuer le moral et de réduire les conflits. Il existe en effet une large croyance selon laquelle les pratiques de participation ont une influence positive sur les attitudes et les comportements au travail. De nombreuses recherches ont tenté de faire le point sur cette question. Dans une recherche de type méta-analyse, Miller et Monge (1986) concluent que la participation à la décision influence la satisfaction et la productivité au travail. Le partage des responsabilités managériales est souvent considéré comme une solution non seulement possible, mais également nécessaire au plafonnement des carrières (Bardwick, 1986). Driver (1985) estime que « lorsqu’un plus grand nombre de managers de moyen ou de bas niveau partagent les fonctions majeures de politique et de stratégie, certaines frustrations liées au plafonnement peuvent disparaître ». Pour Wolf (1983), une façon d’accroître la qualité des emplois de ceux qui doivent demeurer dans leur poste actuel serait de les impliquer davantage dans les décisions qui les concernent, et même, dans les décisions qui touchent des aspects organisationnels. En outre, un plus grand pouvoir de décision peut accroître de façon substantielle le sentiment de succès hiérarchique sans pour autant offrir une promotion (Gattiker et Larwood, 1986).

Les études présentées ici montrent que tous les salariés ne réagissent pas de la même manière au plafonnement de leur carrière. Leur satisfaction à l’égard des diverses facettes du travail peut s’en trouver plus ou moins affectée selon leur âge, leur ancienneté, leur sexe, leur niveau hiérarchique ou leur niveau de scolarité. Certains facteurs liés aux caractéristiques de l’emploi peuvent modérer les conséquences du plafonnement de carrière et, en particulier, l’ambiguïté de rôles, le potentiel d’enrichissement du poste et la participation à la prise de décision. Nous chercherons à mesurer cette influence en montrant dans quelle mesure chacune de ces variables renforce la relation après avoir pris en compte l’effet des variables individuelles considérées comme variables de contrôle.

Méthodologie

Population et méthode

Les données de cette recherche ont été recueillies par questionnaire dans trois grands secteurs de l’économie au Canada : l’industrie des pâtes et papiers, le secteur des services à la consommation, en l’occurrence le domaine de l’alimentation, et les secteurs public et parapublic. Le questionnaire a été distribué aux cadres de tous les niveaux, du superviseur (agent de maîtrise, contremaître) aux plus hauts dirigeants (président, directeur général, vice-président). Notre échantillon comprend 3067 cadres répartis dans 41 établissements (usines et sièges sociaux) et associations de cadres. Le taux de réponse oscille entre 23% et 42 %, selon les cas. Les sujets sont en grande majorité de sexe masculin (87 %) et de langue française (89 %), ils sont âgés en moyenne de 43,4 ans et ils possèdent plus de 22 années d’expérience de travail, dont près de 16 années auprès de leur employeur actuel. Nos répondants occupent le même emploi depuis 6,9 années en moyenne; en outre, 90 % des sujets de notre enquête indiquent avoir des responsabilités directes de supervision et ils ont en moyenne 14 subordonnés.

Instruments de mesure

Mesures de plafonnement : Deux types de plafonnements ont été étudiés, le plateau objectif (carrière objective) et le plateau subjectif (carrière subjective). Le plateau objectif a été mesuré par le nombre d’années passées à un même poste. Afin d’éviter de classer comme mobiles et non plafonnés des sujets qui commencent leur carrière en gestion, nous avons décidé d’exclure de notre échantillon tous les répondants qui avaient moins de cinq années d’ancienneté dans leur organisation actuelle. En raison de cette restriction, plus de 884 sujets ont été éliminés de nos analyses, ce qui représente 28,8 % de l’ensemble des participants. Pour différencier les sujets relativement au plafonnement objectif, il a été décidé que les individus qui avaient au moment de l’enquête moins de six années d’expérience dans le même poste seraient classés comme non plafonnés et les autres sujets seraient classés comme plafonnés.

Le plafonnement subjectif a été mesuré par deux questions auxquelles les sujets devaient répondre soit positivement, soit négativement, soit par un point d’interrogation : « Pensez-vous être demeuré à votre niveau beaucoup trop longtemps ? » et « J’occupe une position sans issue ». Étaient considérés comme non plafonnés ceux qui avaient répondu « non » (code 1) à chacun de ces deux énoncés, comme plafonnés ceux qui avaient répondu par l’affirmative (code 3) à ces deux énoncés comme incertains (code 2) les individus qui avaient répondu « oui » à l’une des deux questions et « non » à l’autre. Le coefficient de fiabilité obtenu est de alpha = 0,62.

Les conséquences étudiées : Les mesures de la satisfaction à l’égard de l’entreprise, du supérieur immédiat, du travail en soi et des collègues ont été obtenues à l’aide de l’échelle de Warr et Routledge (1969). Deux mesures d’attitudes plus générales ont également été étudiées, la satisfaction générale par rapport à l’emploi et la satisfaction par rapport à la carrière. La satisfaction par rapport à l’emploi est une adaptation de l’index de Quinn et Shepard (1974, alpha = 0,74). La satisfaction à l’égard de la carrière a été mesurée par un instrument comprenant cinq items sur une échelle de type Likert de 4 points allant de « absolument vrai » à « absolument faux » (ex. : « cette organisation m’offre de nombreuses possibilités d’avancement »). Le coefficient de fiabilité alpha de cet instrument est de 0,81.

Les variables modératrices : Le potentiel d’enrichissement du poste (PEP) a été mesuré par un indice composé de quatre énoncés touchant la variété du travail, ses conséquences sur l’organisation, la marge de manœuvre et l’adéquation des compétences et des exigences du travail. Le coefficient de cohérence interne de cette mesure est de 0,70. Le degré d’ambiguïté de rôles a été mesuré par l’instrument de Rizzo et coll. (1970) et House et coll. (1983). Le coefficient de cohérence interne de cette mesure est de 0,76. Le degré de participation aux décisions a été mesuré par la somme de huit expressions concernant la participation aux décisions touchant le travail, les politiques affectant le personnel cadre de l’organisation, l’ensemble de l’organisation, la planification de carrière, la formation et le perfectionnement, l’évaluation du rendement et l’établissement des politiques de rémunération. Pour chacune de ces huit décisions, le répondant devait évaluer, sur une échelle de cinq points allant de (1) (« d’autres décident pour moi ») à (5) (« je décide complètement »), jusqu’à quel point il avait la possibilité de participer à ces décisions. Le coefficient de cohérence interne de cette mesure est de 0,77.

Plusieurs variables de contrôle ont aussi été utilisées : l’âge et l’ancienneté étaient directement codés. Le degré de scolarité a été mesuré sur une échelle de sept niveaux variant des études primaires (1) au doctorat (7). Le niveau hiérarchique a été mesuré par une échelle de sept niveaux, comprenant les principaux niveaux suivants : 1 = président, directeur général; 3 = niveau intermédiaire; 7 = premier niveau de supervision. Finalement, le sexe a été codé de façon binaire, soit : 1 = homme, 2 = femme.

Résultats

Afin de tester le pouvoir explicatif de chacun des types de plafonnements étudiés, nous avons eu recours à I’analyse de régression hiérarchique. Les recherches ont par ailleurs montré que les attitudes et les comportements étaient souvent influencés par des variables sociodémographiques, telles que l’âge, l’ancienneté, le niveau de scolarité, le niveau hiérarchique et le sexe. Pour contrôler l’effet de ces variables, nous avons entré dans une première étape ces caractéristiques dans l’équation de régression. Dans une deuxième étape, nous avons introduit le plateau objectif dans le modèle. Dans la troisième étape, nous avons introduit dans l’équation, comme le recommandent James et Brett (1984) pour tester l’effet modérateur d’une variable, l’interaction du plafonnement objectif avec chacune des variables modératrices, et ce, pour chacune des variables de résultats étudiées. En quatrième lieu, nous avons introduit dans l’équation le plateau subjectif après l’inclusion des variables de contrôle et du plateau objectif. Finalement, nous avons testé les résultats de l’interaction du plafonnement subjectif avec l’ambiguïté de rôle, le potentiel d’enrichissement du poste et la participation aux décisions sur chacune des variables de résultats étudiées.

Le tableau 1 présente les résultats de l’analyse de régression hiérarchique pour chacune des formes de plafonnement, des conséquences et des variables modératrices étudiées. Les résultats montrent que l’ambiguïté de rôles et la participation aux décisions ont un léger effet modérateur entre le plafonnement objectif et la satisfaction par rapport à l’emploi. Dans les deux cas, l’introduction de l’interaction du plafonnement objectif avec l’ambiguïté et la participation aux décisions dans l’équation permet d’accroître la variance expliquée de 3 %. Par contre, le potentiel d’enrichissement du poste (PEP) n’aurait pas, selon nos analyses, un effet modérateur entre le plateau objectif et la satisfaction à l’égard de l’emploi. Par ailleurs, le tableau de résultats révèle que l’ambiguïté de rôles et le PEP ont un effet modérateur entre le plafonnement subjectif et la satisfaction par rapport à l’emploi. Les résultats montrent que ces deux variables permettent d’accroître respectivement 5 % et 3 % la variance expliquée. La participation aux décisions n’a toutefois pas un impact modérateur sur la relation entre la perception de plafonnement et la satisfaction par rapport à l’emploi.

Les résultats relatifs à la satisfaction par rapport à la carrière montrent que les trois variables étudiées ont un effet modérateur, et cela se révèle vrai pour les deux formes de plafonnement étudiées. En particulier, l’ambiguïté de rôles a un effet modérateur très important, l’interaction avec le plafonnement objectif permet d’augmenter la variance expliquée de la satisfaction de carrière de 11 %, tandis que l’interaction du plafonnement subjectif et de l’ambiguïté de rôles permet d’accroître l’efficacité du modèle de 13 %. Bien que leur effet soit moindre, le potentiel d’enrichissement de l’emploi et la participation aux décisions ajoutent 5 % à la variance expliquée après avoir tenu compte de l’influence des variables de contrôle, du plafonnement objectif et permet un gain additionnel de variance expliquée de 5 % et 2 % après avoir introduit le plafonnement subjectif.

En ce qui a trait à la satisfaction par rapport à l’entreprise, les trois variables étudiées ont une influence significative sur la relation entre le plafonnement objectif, le plafonnement subjectif et les attitudes à l’égard de l’entreprise. En matière de plafonnement objectif, les résultats révèlent que c’est l’interaction avec la participation aux décisions qui influence le plus fortement cette forme de satisfaction, avec un apport de 9 %. L’interaction avec l’ambiguïté et la complexité permet d’accroître la variance expliquée de 5 % et de 3 %, respectivement. En ce qui concerne le plafonnement subjectif, les résultats se révèlent quelque peu différents. C’est l’interaction avec l’ambiguïté de rôles qui exerce le plus d’influence sur la satisfaction de l’entreprise, avec un apport additionnel de 7 %. Quant au PEP ( 2 %) et la participation à la décision ( 4 %), bien que leur rapport soit moindre, ces deux variables apportent tout de même une contribution non négligeable à l’explication de la relation entre le plafonnement subjectif et la satisfaction de l’entreprise.

Les résultats relatifs à la satisfaction par rapport au travail lui-même montrent que l’ambiguïté, le PEP et la participation ont une très forte influence sur les conséquences du plafonnement de carrière. L’interaction de ces trois variables avec le plafonnement objectif permet d’ajouter respectivement 10 %, 9 % et 8 %, à la variance expliquée quant au modèle de la satisfaction du travail. L’apport de ces trois variables modératrices est aussi marqué en ce qui concerne le plafonnement subjectif. En particulier, les résultats révèlent que le PEP et l’ambiguïté de rôles ont une influence modératrice relativement forte entre la perception de plafonnement et la satisfaction au travail, leur contribution est de 15 % et 11 % respectivement.

Tableau 1
Effet modérateur de l’ambiguïté de rôles, du potentiel d’enrichissement du poste (PEP) et de la participation aux décisions sur les conséquences du plafonnement de carrière

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Le tableau de résultats révèle aussi que seule la participation aux décisions a une influence significative, quoique faible, sur la relation entre le plafonnement objectif et la satisfaction par rapport aux collègues (_ 2 %). Par ailleurs, la relation entre le plafonnement subjectif et la satisfaction des collègues serait influencée significativement, mais très faiblement, par l’ambiguïté de rôles et la participation aux décisions (_ 2 %). Selon nos résultats, le PEP n’aurait aucune influence modératrice entre le plafonnement de carrière et la satisfaction par rapport aux collègues.

En ce qui a trait à la satisfaction par rapport au supérieur immédiat, les résultats indiquent que les trois variables étudiées modèrent l’influence du plafonnement sur cette dimension de la satisfaction. Pour les deux types de plafonnements, c’est l’ambiguïté de rôles qui exerce la plus forte influence, son apport est de 9 % en ce qui a trait au plateau objectif et de 8 % en ce qui a trait au plateau subjectif.

Discussion

Cette étude nous a permis d’étendre le champ traditionnel des recherches sur le plafonnement de carrière en prenant compte, comme le suggéraient plusieurs chercheurs de l’influence de facteurs liés aux caractéristiques des emplois occupés dans leur relation entre le plateau et les attitudes par rapport au travail. Les résultats révèlent que certains aspects de l’environnement du travail tels que le degré d’ambiguïté dans les rôles, le PEP et la participation à la prise de décision peuvent contribuer à limiter les conséquences associées au plafonnement de carrière. Notre étude montre que les managers en situation de plafonnement ont des attitudes plus favorables par rapport à leur travail lorsqu’ils perçoivent leur rôle comme peu ambigu. Dire exactement ce qu’on attend de l’employé, lui fournir une rétroaction régulière sur sa performance, l’informer de ses chances d’avancement, voilà autant de moyens qui peuvent réduire sa perception d’ambiguïté dans son rôle. En termes pratiques, nous confirmons ainsi la pertinence de la proposition de Feldman (1989) d’améliorer les systèmes d’évaluation de la performance et la rétroaction au sujet des résultats, ou celle de Grandrose et Portwood (1987) qui insiste sur l’importance de réduire les incertitudes entourant le statut de carrière des employés.

Par ailleurs, les résultats de notre recherche révèlent que, pour des personnes ayant le même niveau de plafonnement de carrière, le sentiment d’occuper un emploi à fort PEP a une influence très nette sur la satisfaction par rapport au travail et, dans une moindre mesure, sur la satisfaction par rapport à la carrière et sur le rendement perçu. Nos résultats confirment ceux de Hall (1985) et de Domsch et Gerpott (1987) qui ont montré que les caractéristiques des emplois pouvaient servir d’immunisation contre les conséquences négatives du plafonnement de carrière. Cela va dans le sens de tous ceux qui recommandent, comme solution au plafonnement vertical, de faire en sorte d’éviter au moins le plafonnement de contenu (Slocum et coll., 1987; Barwick, 1986; Feldrnan et Weitz, 1988). En termes pratiques, ces résultats suggèrent que le plafonnement de carrière peut être moins dommageable dans les organisations qui combattent la stagnation notamment en développant la gestion de projets, les comités de travail ad hoc ou la mobilité horizontale.

Nos résultats montrent aussi que la participation à la prise de décision concernant différents aspects liés au travail et à l’organisation a une influence très positive sur la satisfaction à l’égard du travail, des collègues et du supérieur immédiat lorsque le plafonnement de carrière demeure constant. Cela confirme l’hypothèse de Driver (1985) qui suggérait que le partage des responsabilités managériales pouvait représenter une solution intéressante au plafonnement et les propos de Feldman et Weitz (1988) selon lesquels l’accroissement des responsabilités peut limiter les effets négatifs du blocage de carrière.

Il semble aussi qu’aucune approche ne peut être appliquée avec la même efficacité pour tous les employés dans différents contextes organisationnels, les recherches futures devront explorer d’autres variables modératrices. Une attention particulière devrait être portée aux besoins d’actualisation, aux stades de vie (Feldman et Weitz, 1987), aux rôles alternatifs (ex.: mentorship), aux occasions de formation (Elsaas et Ralston, 1989), aux aspirations de carrière (Milliman, 1992), aux voies de carrière proposées (Hall, 1985) ou encore à la satisfaction de l’emploi (Nicholson, 1993).

 


 

Auteur

Michel Tremblay est professeur à l’École des Hautes Études Commerciales de Montréal.
Courriel: michel.tremblay@hec.ca

Alain Roger est Maître de conférence à l’Institut d’administration des entreprises, Aix-Marseille.
Courriel: roger@univ-aix.fr

Notes

  1. Ce texte est paru dans Carriérologie, été 1995

Références

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